20 juillet 2018

Les boules d'un mardi d'été

Par Le Barde
 
 
C’était un mardi chagrin et lourd.
Mais sur les allées bordées de marronniers, près du fleuve, l’air était doux. Nous étions quatre. Juste ce qu’il faut pour taquiner le cochonnet. La famille des bardes était presque au complet. Le Bardatruc et le barde tout court firent la paire contre le maître et Hamilton.
 
Gwen avait esquissé la possibilité de se joindre à nous. Las, il préféra philosopher avec Miguel. Si l’art de la boule est une déclinaison de la philosophie, Gwen se sentit plus à même de refaire le monde sur le comptoir. Cela ne l’empêcha pas de nous désaltérer. Il vint avec quelques canettes satisfaire nos palais desséchés. Sa bonté est sans limites ; la bonté, c’est l’acmé de la philosophie. Joubert écrivait si justement : « L’extrême bonté est un véritable génie. » Il ne faut sans doute pas aller jusqu’à l’extrême. Le juste milieu peut suffire. Peut-il y avoir un juste milieu en matière de bonté ? Pas sûr. Ce débat constituera la trame des échanges de mardi prochain entre Gwen et Miguel.
 
La paire de bardes l’emporta. La chance, deux mains plus fermes ? Hamilton était en délicatesse avec son tir. Le maître n’excellait que sur une boule. Les bardes furent plus réguliers. Leur métrique fut efficace. La muse des boules était avec eux. On ne peut rien contre une bonne muse.
 
Le jour déclinait. Il était temps de rejoindre nos deux philosophes et les amateurs de pala. La brasserie bordelaise nous rassembla. Kiki était en forme. Seb aussi. On oublia la métaphysique. Le Doc était tout feu tout flamme. Perdigue nous rejoignit sur le tard. La nuit avançait à son rythme, où plutôt au nôtre. Le temps qui passe n’est ni monotone ni irréversible si nous le chahutons un peu.
 
Il était assez tard. La rue allait ses passants encore nombreux. Une bierotte ou un gin tonic au Café Brun, et de regagner nos lits, l’esprit toujours chagrin mais patiné de joie de vivre. Il faut poursuivre, sous l’œil bienveillant des chers disparus.

13 juillet 2018

Guigui

  
 
Guigui était un être protéiforme. Il avait fait sienne cette pensée de Montaigne : « L’unisson est la qualité du tout ennuyeux ». Il avait de nombreuses passions ; c’était un être mêlé.
 
Son goût pour l’éducation anglaise le prédestinait au rugby et au golf. Au rugby, on le surnommait la mobylette ; il allait très vite et possédait des appuis de feu. Il officiait à la mêlée ou à l’aile. Puis, il s’adonna toujours plus au green, le corps las des vicissitudes ovales.
 
On l’appelait aussi le gendarme. Il avait fait ses armes dans ce corps et avait maintenu cette flamme en restant d’active. Et il n’était pas rare qu’après avoir fredonné la musique de la série de films chère à Louis de Funès, nous l’achevions par un Cruchot retentissant. Plus rarement nous entonnions aussi la tactique du gendarme. Guigui souriait, heureux et reconnu par ses pairs.
 
Guigui était un homme de vin, attaché à sa maison familiale de Lugagnac où nous fûmes nombreux à partager la joie de son mariage avec Héléna. Il arborait, ce jour-là, sa tenue militaire de rigueur. Les cerises étaient merveilleuses.
 
Le vin de Guigui était à son image, tendre et robuste. Guigui aimait la bonne chère. Qu’elle soit girondine ou méditerranéenne. Il goûtait la finesse et détestait le superflu. Il rapprocha la Chine de nos vignobles. Au pays de la dynastie des Tang, le vin est aussi une culture. Seuls les sots n’y voyaient goutte. Il aurait aimé ces vers de Li Bai : « Si vous saisissez la signification du vin, Ne la révélez pas aux sobres gens. »
 
Il avait ses habitudes océanes. Du côté de Lacanau. Les pins, le parfum des pins, le ramenaient vers son enfance. Lorsque nous taquinions la gonfle sous la baguette du Général, nous fûmes quelques-uns à profiter de son hospitalité canaulaise.
 
Il n’était jamais avare de bons mots et de blagues. L’humour était, chez lui, une manière de vivre, d’être. Ses yeux pétillants en témoignaient. Il n’appréciait rien tant que de nous confier ses dernières trouvailles au bord du comptoir.
 
Il fut toujours des nôtres. On ne le voyait plus beaucoup. La faute à ce maudit crabe. Nombre d’entre nous l’entourèrent. Nous savions sa fin proche. La vie est une garce de nous l’enlever si tôt.
 
Il va retrouver notre hutte, là haut dans le ciel. Une jolie hutte ou quelques queues plates l’attendent. Il ne sera pas seul. Campo lui chantera la gitane. Nous lui chanterons le doigt depuis la terre ferme.
 
Guigui veillera sur nous. L’éternité, par définition, se moque du temps.
 
Les queues plates te saluent Guigui.

01 juillet 2018

Fable Donatienne : le castor et la carotte

Par le Barde, Bardibule, Bardatruc

 

Bien sûr, il faisait très chaud. Bien sûr, il n’y avait pas un nuage, pas un zest de vent. Mais quand même : neuf pour clore la saison, c’est peu. Certes, il y avait aussi Pioupiou, en dormeur du pré. Allongé sur l’herbe, un trèfle à la bouche, son regard oscillait entre nous et cet appendice si commun que l’on nomme smartphone.

C’était l’anniversaire de Jean-Phi. Il était en forme , délivrant d’admirables passes pour les siens, comme s’il entendait renverser l’ordre des choses en offrant des caviars à ses coéquipiers. Quelle altérité ! Croucrou s’escrimait sur son aile. Dudu bataillait avec le temps. Les vieux paraissaient diminués par la canicule. Ils mirent des plombes à redresser la barre. Rien que de très normal au bout du compte.

Donatien souriait. Le 26 juin était son jour. Pépé se tenait au comptoir avant de sonner le rappel. Une belote de comptoir inaugurale s’achevait. Jacouille et le vieux quatre en était. Guitou itou. L’été lui va comme un gant à Guitou.

Donatien avait tenté de convié Walid en jouant sur la corde sentimentale. Je vais faire un
taboulé lui confia-t-il. Il en fut pour ses frais. Le Libanais reste le maître du taboulé.

A défaut de boucher les artères, ce repas remua les tripes de certains. Comment peut on servir un plat de résistance sans l'ombre d'une protéine animale au trou. Mais enfin l'homme est omnivore tout de même, s'égosillèrent ou s'étranglèrent certains ! Certes dit l'homme raisonnable mais omnivore n'exprime pas la capacité de l'homo sapiens-sapiens à tout manger mais simplement celle de manger de tout.

La proposition culinaire de Donatien pourrait paraître radicale et/ou provocatrice, elle est juste en avance d'une dizaine d'années…L'artiste est comme le rosier du rang de vignes, sa sensibilité nous aide à prévenir la maladie.

 
Le pronostic a vraiment bon dos quand le castor se fout de la bête. Il est où le sacré dans tout ça. Le partage du pain dans la cène primaire se veut pour alimenter le lien originaire. Le pain qui nous fait co-pain est une offrande charnelle dans le sacrée du trou. Gloire a Pépé! “Prenez mangez en tous ceci est ma carotte.” La culpabilité qui nous attache à l’autre on s’en branle tant que la tomate produit son jus. Tiens, fais moi une pipe…pipe rade… Il y a deux oeufs dedans pour le liant. Sache que le jus de pois chiche pourrait bien faire l’affaire. La métaphore est plus douce. Chiche kebab! Mais je ne donne pas cher à une croyance qui se propose uniquement au partage de la carotte. Dure est la croix du messie qui prêche carotte. La manne est sacrée et le boeuf garde la côte dans le trou. Il est tordu l’inconscient qui néglige le cri de la betterave, ou du radis (noir pour les puristes) que l’on arrache à notre terre. La tomate dans sa chair meurtrie ne rougissant pas de sa verte destinée. Mais ses soeurs sur la branche trop vertes pour le sacrifice ne pourront survivre à l’arrache du désespoir. Don est un visionnaire au régime. Il n’entend que les pleurs de l’animal et se fout des silencieuses complaintes végétales. Les castors pleurent! Nous sommes animaux, limite plantes carnivores. Le castor est un échantillon temporel de la nature animale. Don travaille dans le noyau des choses. L’art l’exige. Le poète est attaché au vert! Le noyau fait pépin sur le coup. Libre celui qui est bien dans son ascète. Mais nous rappelons que le rugby est un jeu à quinze. Le jeu ascète c’est pour les régimes dépassés. Bien trop rapide pour les gros qui sont long à la comprenette. Le combat est ainsi. Le régime vert donne faim. L’assimilation se fait dans l’oral. Manger du torro nous rend torro, manger du lapin nous rend lapin, manger tomate nous rend végétatif pour reprendre l’analyse succincte mais nez en moins percutante de notre traiteur en chef Piou Piou. Ils sont où ces empereurs romains qui pour s’accorder un appui divin, plantaient des choux à la mode de chez-nous. L’histoire nous le rappelons est écrite par les vainqueurs. Et les vainqueurs respectaient l’animal en l’offrant à ces paires sacrées. Don ne partage que son corps. Le concept est dans la peau et la chair seulement une substance à penser. Respect...

Le lancer d’assiette ne fut qu’une formalité. Quelle adresse. Comme si chaque lancer était un vers, la promesse d’une ode, d’un hymne, enfin d’un poème.

Un seul fromage, mais quel fromage. Un mélange chèvre et brebis. Pioupiou, mal remis de l’absence de viande se dressa : « La vie, c’est la viande. » Fin n’y prêta guère attention, papotant avec Pépé.

Le gâteau au chocolat sentait bon le basilic de chine. Pas besoin de cheval pour parcourir les contrées lointaines. Les herbes suffisent pour créer un feu d’artifice digne d’une épopée culinaire. Plus les herbes sont hautes moins tu vois l’animal me souffle Guitou, itou. Les castors goûtent et pensent. Don a réussi, il surprend le trou. L’écrivain est en penseur en herbe.

Il y eut une belote de comptoir. Le Prez dut en sortir vainqueur. Je ne sais. A moins que ce ne soit Amélie. L’assemblée était divisée en petits blocs. Don commerçait avec le barde, lors que le bardibule et le Bardatruc étaient de cartes. Pioupiou gémissait encore. Un monde sans viande ne lui convient pas.

Le trou se vida lentement. Ils regagnèrent la nuit. « La voie du ciel n’a pas de favoritisme, elle est toujours avec l’homme de bien» murmura Don. Il sait son Lao Tseu sur le bout des doigts

Mardi prochain : pala ou pétanque. La vraie vie continue.

Pour ceux qui ne savent pas lire, c'est la raie des entrainements.