26 novembre 2014

Le cuistot de la semaine : avec la poule au pot, l'étron pète

Par Le Barde


C'est l'automne. Il pleut ; le brouillard taquine le pré. Un doux automne où il fait bon se passer la balle. Louons Williams Gilbert, le cordonnier de rugby ! D'une vessie de porc, il fit notre monde.

Miguel était sur le pré. Quand Miguel est sur le pré, le pré n'est plus tout à fait le même. Il était tout de blanc vêtu Miguel : un ange ! Je sais qui fait l'ange fait la bête. Chez Miguel, c'est l'ange qui l'emporte.

Il y avait Luc aussi et de jeunes blancs becs pleins d'appétit. La Piballe promenait sa sérénité, comptabilisant des essais imaginaires au profit des siens. JB assurait. Vif, lumineux, parfait. JCary Grant promenait son élégance sur l'aile de Dominique qui n'en demandait pas tant. Bien sûr, en ce temps de feuilles mortes, le ballon ne laissa pas sa part aux chiens. Qu'importe, nous nous amusions. Des enfants de la balle, encore, pour l'éternité.

- Je voulais t'appeler, je me suis fait engueuler par ma femme dit Pépé à Luc comme il descendait de l'escalier. Je décidais d'en savoir plus. En vain. Pépé demeura confiné dans ses mystères.

Joël, lui, était de pot au feu. Digne, svelte, élégant. Qui dit pot au feu dit Bouillon. Las, les plaques de la cuisinière lambinaient. Alors Joël se transforma en Miles D'avis pour nous faire attendre. Il rejoignit son
lutrin, saisit une trompette et, à défaut de Kind of blue, nous proposa un autre standard : l'hymne bayonńais à la sauce castor. Le trou chanta. Joël, les joues rouges et gonflées, poursuivait sa besogne. Une clameur s'éleva du trou. L'air indifférent, seigneurial, Joël s'enquit du bouillon, le déposa sur la table et regagna sa place.

Que dire d'un tel bouillon ? Comment traduire une telle perfection et la splendeur du vermicelle ? Oui, comme il est écrit dans l'Ecclesiaste : "Les mots sont trop usés, on ne peut plus les dire." Seul Roland Manoury, musicologue et poète auvergnat contemporain, a su franchir le pas. Il a créé une marche à la gloire du chabrot et du pot-au-feu. Elle est traditionnellement accompagnée à l'accordéon. Joël a pris le parti de la trompette. Je ne résiste pas au plaisir de citer son refrain :

À la soupe ! À la soupe !
Ah ! le joli pot-au-feu.
Cet instant si merveilleux
Tout au fond de nos assiettes.
Parmi les yeux du bouillon
C'est le chabrot que l'on guette
Pour le boir' à pleins gorgeons.

Le pot au feu était parfait, la viande tendre, les légumes tendres à souhait. Cela valait bien un petit coup de trompette. Racines obligent, nous eûmes droit à la dacquoise. Rouge encore, ému aux larmes, Joël était en état d'apoplexie. N'importe, le trou communiait, lors que des vols de grues striaient la nuit grise de leur chant incomparable. Hamilton et Guitou savouraient. Le pot au feu. Pas les grues. Un Lussac-Saint-Emilion 2006 accompagnait le tout. Du Saby, bien sûr, et du bon. Sans coquelicot.

Joël fut parfait aux assiettes. Le fromage également fut parfait. Un Salers sublime et un calendos à faire frémir les narines les plus éprouvées. Un antidote au baiser, une répudiation des jeux labiaux, l'antonyme d'Eau sauvage. La Piballe exultait. Pioupiou ne nous épargna pas sa chanson monotone (elle l'est) ni d'autres morceaux de son répertoire. Guitou ne nous confia pas sa plage. Franck nous manquait. Et les petits jeunes se plaisaient à leur apprentissage.

Pour rafraichir nos palais, nous eûmes droit à des clémentines bienvenues et à des tartes aux pommes. Une conclusion douce et heureuse. Il manquait un ultime coup de trompette. Joël joua la berceuse du castor. Paroles et musique. Un artiste, un vrai.

En quittant le trou, Joël murmura ces vers de T.S. Eliot :

"Dérisoire le triste temps vain
Qui s'étend avant et après."

Il se roula une dernière cigarette, regarda les étoiles et regagna ses pénates. Il était gai. "Pour l'après, mon cher T.S, tu reviendras chuchota-t-il. Il faut aimer la vie, avec trompette, pot au feu et castors. Tout le reste est littérature."

À la semaine prochaine.

20 novembre 2014

Le cuistot de la semaine fait joue joue

Par le Barde


De ce qui se passa à Victor Louis, je ne sais rien ; je n'étais pas à Victor Louis mais au trou, disputant une belote de comptoir avec Jacouille, Tcho et le Général. Perdigue, habillé d'un vieux maillot Archiball vert, un foulard arc-en-ciel autour du cou et des lunettes à la Marcel Achard, mutinait en cuisine ou si vous préférez mitonnait. Il a une putain de gueule d'intello Perdigue lorsqu'il est accoutré de la sorte.

- Elles avancent tes joues mes couilles lui demandais-je ?
- Non elles fondent.

On reconnaîtra ici la marque indélébile de Perdigue répondant à une question somme toute banale que je lui posais comme je le voyais s'activer en cuisine par la délicate embrasure qui la sépare du bar. Car, effectivement, les joues de Perdigue fondent. Disons plutôt que les joues de porc de Perdigue sont fondantes. Non pas que Perdigue soit un porc mais, mardi, après la trêve de l'armistice de cette guerre que l'on dit grande, il mitonna des joues de porc.

Ce fut par une soupe aux brocolis que les hostilités commencèrent, une soupe aux brocolis avec un rien de courgette, un zest de carotte. Le tout étroitement mêlé, sans doute, par l'un de ces mixeurs mécaniques qui, sans avoir le charme des outils d'antan, accomplissent leur besogne avec perfection sans que la main de l'homme n'intervienne. Amen.

C'est peu dire que l'assemblée se régala. Elle recouvrait les habitudes d'antan lorsque l'automne tourne à l'hiver. Une soupe peut suffire à revigorer nos corps, à enchanter nos carcasses rafraîchies. Perdigue, il sait cela. Et c'est pour cela qu'on l'aime ; il met du brocoli dans nos cœurs. Ce qui n'est pas donné à tout le monde. D'ailleurs, Perdigue, il est unique.

« Il me semble, chuchota Hamilton, qu'il y a dans cette soupe un soupçon de dé de cube de poule qui lui donne un fumet incomparable. » Perdigue se dispensa de lui répondre et haussa les épaules. « Saperlipopette, un dé de cube de poule, et puis quoi encore ! Quel astronaute d'eau douce cet Hamilton, quel scolopendre. Je t'en foutrais des dés de cube de poule maugréait-il ». Oui, il y a du capitaine Haddock dans Perdigue, cela saute aux yeux, c'est le général qui me l'a susurré. A juste titre.

« Changement d'herbage réjouit les veaux », murmura Perdigue comme il regagnait la cuisine pour donner suite à sa soupe. Peut-être eût-il été plus judicieux d'évoquer les porcs puisque Perdigue s'était attaché à commettre une daube de joues de porc aux carottes.

Est-il nécessaire de préciser que la daube ne se réduit pas au bœuf ni les herbages aux veaux ? Non. Par contre, il est opportun de rappeler que la daube désigne également ce qui n'est pas bon. Tel n'était pas le cas, loin s'en faut, de la daube aux joues de porc de Perdigue. Il importe d'ajouter, en outre, qu'il y a une confusion phonétique (paronyme) entre la daube et l'adobe dans l'origine du terme argotique : « cette maison est de la daube » pour « c'est de l'adobe ». L'adobe est un mot arabe et berbère, assimilé en espagnol, désignant des briques de terre crue séchée au soleil. Une construction en adobe est de mauvaise qualité. L'expression est déformée pour être employé à d'autres secteurs que la construction. Comme la cuisine. À bon architecte salut.

Pour conclure cette trop longue digression, j'ajoute que à daub en anglais signifie une peinture de mauvaise qualité, faite grossièrement et to daub barbouiller. Ce mot vient en fait du vieux français dauber (latin dealbare) qui signifie « enduire de chaux ». L'origine de l'expression « c'est de la
daube » est peut-être là...

Reste que la daube de Perdigue, c'est pas de la daube. Une putain de daube aux carottes. Une action de grâce. Le tout accompagné par un château de Carles 2005. Et oui, Jean-Phi s'effaça le temps d'un repas. Il tint, cependant, à nous montrer la nouvelle étiquette du Château Hauchat concoctée par Walid. Elle a pour emblème un coquelicot. Allez savoir pourquoi ? L'effet est surprenant. Un clin d'œil aux paradis artificiels ? Du cep au coquelicot, il n'y a qu'un pas. Désormais, il est franchi.

Bernard Palanquès était aux anges. Il ne pût s'empêcher de râler un peu. « La philosophie c'est bien, mais le poivre c'est mieux. » J'ignore les raisons de cette petite ire. Ni ce que venez foutre la philosophie à cet instant de nos échanges. Il est comme ça Bernard. Puis, il passa du coq à l'âne lorsqu'il rompit le pain en s'emparant de son coin : « Mange des coins tu auras des seins. »

- JB tu prends le manche un peu demanda le général qui s'y connaît en manche.
- Oui Général, je n'arrête pas. Les cimes me deviennent familières. Et, comme tu le sais, on ne les atteint que par le manche."

Donation conversait avec Toto. Toto qui est l'heureux papa d'une petite fille. Un Toto radieux que le préside couvait du regard.

Vint le chant des grillons. Le frottement des couteaux à scie sur le rebord des assiettes blanches pour quémander du fromage ressemble, en effet, à s'y méprendre au grésillement de cet insecte si sympathique.

Avant que le fromage n'advienne, il faut lancer les assiettes. Perdigue se mit derrière le comptoir. Son lancer fut très approximatif et enjoué.

Le fromage était abondant et parfait. Pas de cancoillotte, le fromage qui rime avec coyote. Mais quel reblochon., le fromage qui assonne avec Perdigon. Un délice ! Perdigue entretient une relation toute particulière avec le fromage. Et il sait la partager. Louons-le Donatien. Pourquoi Donatien ? Lisez MatcH pour ceux qui ne l'ont pas fait. Ou demandez un résumé à Pioupiou, c'est son livre de chevet.

Quant au dessert, on hésita longtemps avant de lui donner un nom. Paris-Brest ou succès ? En fait c'était un russe. Du moins pour Gwen dont l'âme slave n'est plus à prouver. Il n'en resta pas une miette. Une coupe de champagne accompagnait le russe pour célébrer la paternité de Toto.

Perdigue si prodigue en bontés culinaires entreprit de se détendre et se joignit à une belote de comptoir. Il m'expliqua alors le principe du positionnement des chiffres sur les dés. Il tourne autour du chiffre 7. Si l'on additionne les chiffres situés de part et d'autre du dé : on aboutit toujours au chiffre 7 : 1/6 2/5 3/4. J'étais émerveillé. Et le vireux quatre itou. Pas la Jacouille.

Je quittais le trou l'âme légère. Pas de pluie. Pas de claquette. Il était pourtant minuit.

05 novembre 2014

Le cuistot de la semaine, avant le bing bang

Par Miguel


Avec Gwen aux fourneaux biélorusses, on en attendait pas moins:
- uniforme de cuisine avec un tablier C.C.C.P. (Cou Courou Coucou Paloma ?)
- T-Shirt des marins du cuirassé Potemkine à la Jean-Paul Gautier. Ça sent le coming-out sur la photo avec Guitou, mais chut...

Et cette fois la théorie du Big Bang fut revisitée et enfin éclaircie: c'est donc une goûte d'eau qui a déclenché le flash du Big Bang. La photo fait foi, avec les sourires béats de Guitou et Gwen, moins d'une seconde avant le Big Bang, puisque l'eau commence à peine à couler au dessus de la tête de Guitou. Regardez bien le regard malicieux et concentré du Vieux 4, comme sur un tableau du Caravage. Mais ça, c'étais avant, avant le Big Bang...

Cette soirée s'était pourtant vraiment très bien passé jusque-là. Mais ça c'était avant. Avant le Big Bang, cette colère de Guitou que tout le monde a ressenti comme éclair, comme un nouveau Tchernobyl. Cela mit fin à la fête, aux chants russes et non russes, car les Frères Karramazov se sont encore disputés. La mélancolie des plaines d'Asie centrale a envahi les coeurs. Les choeurs de l'Armée Rouge se sont tus. Et nos Tarras Boulba ont tourné kazahk, et ils sont allés se coucher. 

Ce diner digne de Tsars fut une grande première dans le trou à rat:
- Antipasti - Antigel
- Entrée froide - pour bien préparer l'hivers
- Entrée chaude - des forêt boréales
- Plat de résistance (chaud) - au Chameau Ouzbek des déserts froids
- Pas de fromage au bar (sauf si vous l'avez eu, mais comme on discutait alors on ne l'a pas vu)
- Farandole des desserts avec LA tartes aux P...

Tout d'abord la vodka haut de gamme a réchaufé les coeurs, accompagnée d'anti-pasti russes. Cette vodka glacée fut servie à la russe : bien glacée. "Vodka nature" ou "vodka au miel". Elle fut ramenée de Minsk le mois dernier avec du caviar orange à grosses boules, servi en tartines sur du pain au beurre. Le fameux caviar de saumon d'Arkangelsk, sur la mer Blanche. Un régal avant d'attaquer la suite.

Ensuite il y eu l'entrée froide, avec le tartare de hareng frais en sauce au vin blanc et aux oignons. Un régal pour les affamés qui arrivaient du pré. La belle tradition des poissons gras de la Volga qui nous permettront d'affronter l'hiver qui arrive. Les croisières fluviales russes de Gwen ne furent pas seulement consacrées à la sieste cette été, il a aussi été à la pêche.

Après ce fut l'entrée chaude, avec la célèbre soupe aux ceps des chasseurs-cueilleurs de la forêt Sverdlosk. C'est une forêt connue pour avoir les plus beaux champignons à l'ouest de l'Oural. On sait que les champignons sont une cause de mortalité importante en Russie, mais pas forcément par empoisonnement: les forêts sont tellement grandes que les cueilleurs s'y perdent et le froid les tue. Et quand c'est pas le froid, c'est les ours. Merci de ton courage Gwen, et surtout de partager tes champignons avec nous.

Le plat principal fut chaud d'emblée, car il n'y a pas de plat de résistance froid en Russie. Il fait déjà assez froid comme cela. Ce risoto ouzbèque fut très dépaysan, car il fut cuit avec de la viande de chameau de Bactriane (province où furent domestiqué les premiers.chameaux 2.500 av. J.C.) et aux carrotes, assaisoné aux épices (cumin, coriandre, ail, etc.). L'Ouzbekistan c'est comme un émirat pétrolier froid au pays des Soviets, et l'émir a une fille qui est connue pour son extravagance. C'est très dépaysan l'Ouzbekistan, 6 fois plus grand que la France, et ausi peuplé que la Belgique.

Ensuite, ce fut la farandole des tartes aux Pommes sibériennes aux Poils de Mamouths (LA tarte aux P...) :
- tartes aux Pommes de Novosibirsk,
- tartes aux Pommes du Kamtchaka
- tartes aux Pommes du lac Baïkahl.
Elles venaient de loin les pommes de Sibérie, et le degel n'avait pas encore saisi le coeur des tartes, si bien que Bernachatte a été refroidi et surpris d'y trouver d'une part de la glace et d'autre part des poils de Mamouth concervé dans la glace de Sibérie. Mais cela a le mérite de la fraicheur.

Merci de ce premier festin de Tsar, qui nous a fait voyager depuis le trou à rat vers la Russie et l'origine du Big Bang. Le Big Bang est une image, une photo, une idée qui me vient de "Hamilton", qui a su voir le trouble, l'ingénuité et l'ambiguité de cet instant capturé sur la photo. Hamilton est un surnom mérité.