28 novembre 2013

Le cuistot de la semaine sonne toujours deux fois

Par le Barde


Le castor se gausse du froid. Il y a bien quelques réfractaires qui répugnent aux premiers frimas et filent direct au trou sans détour par le pré.  Ce détour est un gage d'appartenance, un rite. Nous étions  une vingtaine et le terrain était tracé par la grâce d'Amélie et de son entregent.  Une affaire de musardingue rondement menée.

Ce fut une partie alerte, vive. Il est vrai que JB était là. Et Dudu. Il fit quelques tours de terrain pour étreindre une pelouse vierge encore de ses foulées. Thibaut avait apporté ses cannes. Seb sa vista. Croucrou sa rectitude que l'on retrouve jusque dans ses courses droites et sans fioritures. Quelques ballons tombèrent. Rien que de très ordinaire. Titi se mêla à nous sur le tard. Et. Ce fut une joie de partager la gonfle avec le guépard d'Aguilera dont les adducteurs freinent les sauvages ardeurs. Une belle partie d'hiver. Sans tambours ni trompettes. La trompette, ce serait pour plus tard.

Une odeur exquise se dégageait du trou, une odeur de gibier, délicate, invasive. Un fumet. Difficile de ne pas être saisi sitôt l'escalier dévalé.

Jean-Phi était à la baguette. Il fit son devoir avec sobriété. Pas de chichis, rien que d'essentiel, de juste. A commencer par un velouté de légumes bienvenu en ces temps si frisquets. Avec un peu de râpé. Mais sans croûtons.

Puis ce fut l'apothéose, un gigot de sanglier, croustillant, parfait. C'est lui qui dégageait ce délicieux fumet.  Les espèces invasives ont du goût. Dans la famille Saby, on les domestique : on  élève le sanglier ; c'est une tradition. Et on le cuisine à merveille. 


Le trou, unanime, célébra la venaison, trempa sans fin son pain dans la sauce. Un régal. Et les rares haricots qui accompagnaient la bête n'avaient rien de superflu. Juste ce qu'il faut. Pas davantage. Guitou était là. Il se régala. Lolo itou. Il y alla de son Asterix. Sanglier oblige. Et m'imagina dans un arbre, la lyre bien en mains, pour chanter ce repas de guerriers.


Il y eut bien quelques propos sans queues ni têtes du genre : "T'as les yeux qui puent le cul" (je ne me souviens plus de l'auteur) ou, plus élégants : "Comment conjuguer le verbe passer au futur ?" (Walid).

Vint alors le son du cor. Pas un cor de chasse, pourtant adapté au gigot. Non, un cor de vigne. Un drôle d'instrument achevé par un entonnoir en plastic. La vigne a ses veneurs. Une fabrication sabinesque. Jean-Phi claironna un air de fromage sous les applaudissements du trou. Yannick s'employa à lui succéder. En pure perte.  La fée roulait des yeux jaloux et hurla à la mort du cor. Et de déclamer l’immortel de Vigny  en l’arrangeant un peu:

J'aime le son du Cor, le soir, au fond du trou,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux froufrous,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.


Le lancer d'assiettes fut catastrophique. Dans la lignée de celui de Loulou. Jean-Phi n'en avait cure. Impassible, il projetait la vaisselle promise au carrelage.

Le dessert fut parfait. Une tarte aux pommes, une vraie. Rien à voir avec celles que promettent ces boutiques industrielles qui tuent l'âme de la pâtisserie. De la pâtisserie quoi, de la vraie.

La soirée s'éternisa un peu. Belote de comptoir et bière. La vie en somme, simple et agréable. Une belle nuit d'hiver nous attendait. Pure, lisse, accueillante. Jean-Phi murmura alors ces vers d’Anna de Noailles :

Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,
Toi qui regardes l'homme avec tes yeux d'étoiles,
Vois mon cœur bondissant, ivre comme un bateau,
Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile !

21 novembre 2013

Le cuistot de la semaine, Panda Gravity


Par Le Barde


La concurrence de la citrouille ne fut pas rédhibitoire ; il y avait une petite vingtaine de castors à Victor Louis. Il y avait Amélie qui pestait contre l'absence de lignes. Même Perdigue était là, dévoré d'envie, après des semaines passées à taquiner la grappe. Il y avait du Jean-Phi dans ses courses folles. Jean-Phi, lui, n'était pas là. Je crois qu'il est en Chine, Connaissances de l'Est en poche. C'est Donatien qui me l'a confié. La Chine, c'est ce pays qui a su mêler marché et communisme comme si de rien n'était. Les mariages improbables sont les plus sûrs mariages. La vraie révolution culturelle, c'est celle-là. Mao doit se retourner dans sa tombe. La grande muraille de la lutte des classes est tombée. Le monde est cul par-dessus tête. Mais foin de géopolitique, revenons en au pré. Une politique du pré ? Pourquoi pas. Le pré, c'est de la stratégie. Amélie le sait ; c'est notre Clausewitz.

La partie fut équilibrée. Les cannes des uns rivalisaient avec la technique des autres. La Piballe était côté cannes et annonçait, comme à son habitude, des scores illusoires. Walid, côté technique, malgré ses cannes de feu, déchirait sans fin le rideau adverse, sous l'œil admiratif du Toulousain. Depuis le début de la saison, il enquille les essais comme qui rigole Walid. C'est la saison du cèdre. Qu'on se le dise !

Au trou, c'était la mi-temps pour les manchots. 2-0. Loulou, avec son petit polo gris boutonné jusqu'au col avait des allures de gamin. Il arborait aussi un cardigan, au gris plus prononcé. Pas de tablier pourtant. Comme s'il était sûr de ne subir aucune tache. L'immaculé est en lui, le vierge. Je te salue Loulou plein de grâces.
Nous étions au trou des oliviers. Loulou multiplia le cake, parsemé d'olives, en autant de parts que nécessaire. Avec une petite mayonnaise pour atténuer la sécheresse dudit cake. Et c'était délicieux. Pépé saisissait de mince petits bouts entre le pouce et l'index, délicatement, et mâchait chaque bouchée avec une infinie patience, pour n'en rien perdre. De temps à autre, il buvait une légère gorgée de vin et arborait une mine satisfaite en regardant Loulou. Ils communiaient. Et c'était merveille que cette communion entre l'élève et son maître au béret. Pépé nous fit le coup de la madeleine. Et, de mémoire, d’une voix douce, il récita son petit Marcel :
« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulées dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. » 
Putain, mais c’est bien sûr, asséna-t-il, pareil à Raymond Souplex dans Les cinq dernières minutes, ton cake, Loulou, c’est ma madeleine. Je mes souviens maintenant. Je trempais de petits bouts de cake dans un peu de vin rouge. C’était chez ma grand-mère, dans les Pyrénées, à fleur d’Espagne. Deux larmes coulèrent sur ses joues.

Le match venait de reprendre. Walid eut ce trait d'humour aussi fin qu'un grain de taboulet : « De toute façon, ukraignent rien les Français ! Note le bien pour le blog, ajouta-t-il, ce jeu de mots est admirable ! » Lolo, médusé, dépité, chercha, en vain, le regard de son Gros pour se requinquer. Peine perdue, son gros mettait la dernière main au plat principal. D'autres plaisanteries, nées du spectacle qu'offraient les footeux, fusèrent.
- « Tirer un coup pour rien, y a que les manchots » (le vieux quatre).
- « On dirait un joueur de babyfoot l'arbitre » (Domi).
Alors Loulou, déposa ses bienfaits culinaires sur la nappe blanche : du veau aux carottes. Avec beaucoup de carottes. Et Lolo de s'exclamer : « Gros, t'es mieux avec ton marchand de légumes qu'avec ton boucher. » La Jacouille couinait de bonheur. Pour relever le niveau, Donatien cita un haïku de Sode Yamaguchi :
« Qui se soucie de regarder
La fleur de la carotte sauvage
Au temps des cerisiers ? »
Perdigue tomba des nues. « Il a bonne mine ton haïku. Ta carotte et ton cerisier, on s'en bat les couilles. Moi quand je bouffe du veau carottes, je bouffe du veau carottes et tout le reste je m'en branle. » Les Français marquèrent, interrompant les litanies de Perdigue. Le trou manifesta une joie maîtrisée. Sauf Bernachot. Il exulta. À Lolo qui disait : « Bernachatte, tu fais une rechute ? », Walid crut bon de répondre : « Non, il fait une rechatte ! ». Seb pouffait. Bernard (Palanquès) toussotait, un peu comme un marquis devant souffrir les plaisanteries d’un gueux. Loulou, impassible trônait. Et tout le monde de manger son veau carottes lors que les Bleus se dirigeaient vers la qualification.
Et ce fut l’apocalypse. Loulou se dirigea calmement vers le bar, prit les assiettes à dessert et devint frénétique. Sans doute avait-il vu Gravity et prenait-il le trou pour une navette spatiale livrée aux déchets de l'espace et à des éclats de météorites ? Un désastre, une catastrophe, un séisme. Puis il se calma, épongea les gouttes de sueur qui perlaient sur son front et reprit sa place, entre le bon docteur et Pépé qui le réconforta : « C'est rien mon petit lui dit-il ». Pour une raison qui m'échappe What Else mit un tabouret sur la table. Voulait-il entamer une danse du ventre, livrer un bras de fer avec le Tcho ? Nous ne le saurons jamais.
Le dessert ne fut que douceur. Une salade de fruits mêlant mangues, litchis, ananas et bananes. Elle fut la bienvenue. Il y avait du Coco dans cette ultime offrande.
On s'attarda un peu. Une belote de comptoir s'improvisa. Loulou prenait soin de ses petits. Dehors, il faisait froid. La rue fêtait les manchots. Une nuit d'hiver agitée. Nous, on s'en foutait un peu. Loulou, lui, songeait à Moumen, Nieucel et Zani. Il s'endormit bercé par ses légendes. Le rugby est enfance.

16 novembre 2013

Le cuistot de la semaine, maître de cérémonie

Par Le Barde
(une bourde technique nous prive de la bouille du maître. Si une photo de notre éphèbe ce soir-là traine dans votre téléphone, nous sommes acheteurs. Pour se faire pardonner, petit regard sur la profession)



Longtemps nous jouâmes à Musard. Quarante années de promiscuité avec le club ceint de deux brennus et d'une coupe de France (1949). Les vicissitudes du rugby d'élite ont eu raison de cet attachement. Nous devînmes des déracinés. Alors le  terrain d'Eysines nous fit les yeux doux. Le rugby de peu, de ces clubs que l'on dit, bien à tort,  petits devint nôtre. Puis, nous trouvâmes, enfin,  pré à nos pieds, au Lycée Victor Louis, renouant avec les origines du rugby, du collège éponyme où William Webb Ellis, affirme la légende, scella notre destin. Notre histoire épouse à rebours celle de la béchigue. Comment ne pas y voir un signe ? Après la grande bourgeoisie et le peuple, nous voilà du côté de l'aristocratie. L'histoire est une sacrée drôlesse, foi de vicomte.

Il y avait du monde sur le pré. Le retour aux sources est si fécond.  Nous étions une bonne vingtaine. L'herbe était verte à souhait. Ce fut un régal. D'autant que le silence était d'or. Pas ou si peu de chamailleries. Mozart était aux Anges. Jean-Phi, pareil à un martin pêcheur, striait le pré de ses courses  volages et intempestives.  Léo s'exerçait à délivrait une passe sur un pas à la vitesse  d'un guépard. Il y parvint et ce fut un essai de toute beauté. Il y a du Burt Lancaster chez Léo. Joël fut à deux doigts de rattraper Arnaud, lancé dans une course folle. Ce duel présidentiel, ce duel entre l'avant et l'après, nous tint en haleine. Et l'avant l'emporta sans que l'après n'ait à en rougir. JP, sublime, porta l'ultime estocade. Au ciel, Audrey Hepburn était aux anges. Et Croucrou chanta Moonriver.  Oui, ce fut une belle soirée. Nous avons trouvé notre eden, là, entre les murs dessinés par le créateur du Grand-Théâtre. Il y a un jansénisme de la gonfle. « Combien de royaumes nous ignorent » écrivait Blaise. Nous, nous avons la faiblesse de ne pas ignorer le nôtre.

Au trou, le maître s'exécutait. Une soupe au chou en entrée, avec son jarret. Rien de tel pour résister aux premiers froids. « Putain c'est bon » enchaînait Lolo. « Tu l'as dit mes couilles » lui rétorquait le Tcho sous l'oeil impassible de sa majesté Gilbert. Et il avait raison Lolo, c'était bon. Ensuite, des spaghettis al dente, avec une irrésitible sauce bolognaises. Du bon, du lourd, du sûr. On a les spaghettis que l'on mérite. La Jacouille y alla de son bravo maestro. Cela fit un flop. Pépé, attendri, consola notre Jacouille qui ne cessait de geindre : « Personne ne m'aime ». Ce qui est faux ; on l'aime notre Jacouille, avec ou sans flop.

Aux assiettes, le Maître est roi. Une samba digne de Gilberto Gil accompagnait son lancer de métronome. Il y eut quelques chutes ; elles étaient comme autant de notes bienvenues. "On dirait du Messiaen" s'exclama le Tcho qui s'y connaît en musique contemporaine. « De la samba à Messiaen, il y a un pas que je ne saurais franchir » avança JB, digne. Et d'ajouter : « D'ailleurs, je ne le franchirais pas. » Sur ce fait, La Piballle entonna les Vêpres à la Vierge. Rompant cette ambiance musicale, Jacouille dit : « Mieux vaut Lanquetot que trop tard » et d'avaler  son petit bout de camembert. Gilbert haussa les épaules.

Un riz au lait d'école clôtura le dîner. Le Maître le servit à la louche. Le riz au lait, c'est le caviar des écoliers. Sauf qu'on le sert après. C'est toujours la lutte entre l'avant et l'après. Arnaud dévora le riz au lait du Maître, comme pour mettre un terme définitif à sa course folle. Repu, il lâcha un rôt salvateur et un Amen qui satisfit La Piballe.

Une nuit mi-figue, mi-raisin, attendait les castors.

08 novembre 2013

Le cuistot de la semaine : changement de pré ravit l’Archi

Par Mozart


En ce premier mardi de novembre, les efforts conjugués de Patrick D. et Lolo pour trouver un lieu d’entrainement dans un périmètre nous permettant de rallier notre trou à rats à l’heure qui convient, ont guidés nos pas (et nos roues) jusqu’au Collège Victor Louis de Talence. Nos boites mail ayant été alimentées par Patrick en documents de navigation de grande précision, c’est sans difficulté que la petite vingtaine d’Archiball désireux d’ouvrir un nouveau chapitre de la vie de notre Club, trouve le chemin du lieu de leurs futurs exploits. Nous laissons derrière nous le sympathique terrain d’Eysines qui nous a si bien accueillis. Nous ne pouvons que remercier chaleureusement ceux qui nous ont hébergés durant cette période d’errance provoquée par notre éviction de Musard. Le Rugby de l’élite immergé dans son narcissisme ne veut plus s’encombrer de certains des membres de sa famille, un peu comme ces ados honteux de leurs parents sans lesquels ils ne seraient pourtant rien. Dont acte.

Ce sera donc pour les Archiball un retour à l’adolescence et au collège. Effectivement, l’impression de fraicheur juvénile est saisissante. Les bâtisses qui entourent le terrain paré de ses poteaux de rugby et ceint d’une piste d’athlétisme, confèrent au lieu, en ce soir sombre et semi pluvieux, un cachet so British. On sent l’endroit fait pour recevoir l’amoureux de l’ovale. L’éclairage est remarquable, l’herbe épaisse renvoie à chaque pas une sensation de confort qu’apprécient les articulations fatiguées. Sur cette surface parfaitement bombée, pas une flaque à signaler, ce qui est une performance, compte tenue du temps épouvantable de ces derniers jours. Nous ne tardons pas à comprendre que nous sommes pile dans l’axe de l’une des pistes de l’aéroport de Bordeaux Mérignac. Ce soir Eole a orienté son souffle assagi, pour qu’à intervalles réguliers, les avions en approche finale glissent par dessus nos têtes, en pente douce, réacteurs au ralenti, jusqu’au seuil de la piste 29 de l’aéroport tout proche. Une noria de lumières intermittentes étoile un ciel resté sombre et menaçant, mais miraculeusement sec, après quelques jours d’un déluge quasi ininterrompu, agrémenté de violentes bourrasques. Cette accalmie météorologique, apparaît comme un heureux présage à la venue des Archiball sur leur nouveau terrain, désormais lieu de leur rendez-vous sportif hebdomadaire.

Il est à constater que la séance de touché se déroule dans une ambiance très zen. Pas le moindre éclat de voix, pas une contestation. Les séquences de jeu se succèdent dans le plus parfait fairplay. Le Douanier est là à nouveau, bien en jambe pour une reprise, Doc Pascal et Regis également. Grognard revenu aux affaires ces derniers temps est dans un registre plus manieur de balle, mettant en valeur les jambes de feu de Toto. Et toujours pas de ralouille, bien au contraire. On peut assister à des échanges surréalistes, du genre :
- Ne pensez vous pas cher ami que cette passe était très légèrement en avant ?
- Si fait mon cher, je vous prie de m’en excuser et vous rends la balle.

De là à penser que l’endroit est chargé en ondes positives propices à la zénitude, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas aujourd’hui. L’avenir se chargera de confirmer, ou pas, cette hypothèse. Ce qui est sûr, c’est qu’il règne en ce lieu une atmosphère très agréable. A la fin d’un chapelet d’attaques magnifiques, de gestes techniques rares et sur un score dont tout le monde se moque, passage par les vestiaires confortables et bien chauffés. Nous prenons ensuite la direction du Trou, c’est tout droit !

Ce soir c’est le grand Thom qui est à la marmite dans un trou bien garni. Le grand Thom, il cuisine comme il joue au rugby. C’est du sérieux, du solide, de la valeur sûre. On respecte les fondamentaux et on s’engage à fond. Pas de round d’observation, il faut marquer les esprits d’entrée, on est sévère dés le coup d’envoi. Et sur le coup d’envoi, il nous met tous sur le cul en nous sortant l’arme absolue, sa Garbure. Et la Garbure de Thom, vous avez remarqué que j’ai mis une majuscule à un nom commun, elle est majuscule la Garbure de Thom et n’a rien de commun. Vous croyez peut-être que je vais vous donner la recette, vous dire qu’il y avait ceci ou cela dedans et que c’est pour ça que c’était si bon ? Vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’aux poumons. J’ai pas le droit de vous le dire ! J’ai signé une clause de confidentialité. Elle est classée « secret défense » la Garbure de Thom, comme la soupe aux choux de De Funès. Si vous n’avez pas tout noté en mangeant, vous êtes marrons, vous ne saurez jamais. Même si les plus pugnaces veulent faire une analyse de selle, là aussi c’est trop tard. Vous voyez bien qu’on a volontairement retardé la parution du blog et que, sauf si vous avez un système digestif de boa constrictor, c’est foutu. Il reste, peut-être, un léger espoir à ceux qui en ont repris pour le dessert. Mon voisin de table, invité de Bernard P et Béarnais pur jus en avait les larmes aux yeux de bonheur, et pourtant le Béarnais il connaît ça la garbure (vous avez remarqué ? sans majuscule…)

Bref je vous disais que Thom il cuisine comme il joue au Rugby et ceux qui ont eu le bonheur de Matcher avec lui savent combien son jeu rugueux peut être empreint d’une grande finesse, de beaucoup de justesse, et dans tous les cas d’une grande générosité. Et c’est précisément la finesse qui arrive maintenant dans nos assiettes sous la forme d’un Jambalaya poulet crevettes, mitonné avec amour.

Le Jambalaya est un plat typique de Louisiane et plus précisément de la Nouvelle Orléans. Il existe des Jambalaya à pratiquement tout : Jambon bien sur, d’où le début du nom, mais également saucisse, gambas, huitre, bœuf, volaille. Le dénominateur commun est le riz créole, « ya » signifiant riz en Afrique de l’ouest, et la multitude de légumes et aromates qui l’accompagnent avec en filigrane la présence persistante de la coriandre. Ce sont les esclaves créoles qui ont créé et vulgarisé cette recette. Les Occitans n’ayant peur de rien, selon Frédéric Mistral le mot occitan jambalaia désigne un ragoût de riz avec une volaille. Les fourchettes claquent, si tu en veux plus, ressers toi, il y en a. Les verres remplis sur ordonnance du docteur es wine, Jean-Phi, accompagnent dignement ce mets fin et les chants éclatent, témoins de la satisfaction générale.  

A l’heure du dessert, sur fond de musique de cirque, les garçons de piste n’ayant pas eu le temps d’installer les filets de sécurité malgré la prise de risque maximum, le lancé d’assiettes fait quelques victimes, heureusement uniquement parmi les assiettes. Le bon fromage au lait accompagné de sa confiture de cerise, précède une mousse au chocolat maison servie avec générosité, qui trouve preneurs sans difficulté. En revanche, la crème chantilly, maison elle aussi, qui devait accompagner la mousse a fait Pchitt ! Elle stagne piteusement au fond de son saladier, victime d’un phénomène inconnu que la science expliquera peut-être un jour. En mesure de représailles  certains se resservent une louche de mousse.

L’origine de la crème Chantilly est attribuée avec plus ou moins de certitude au grand cuisinier et pâtissier François Vatel qui comme chacun sait, se suicida après avoir raté un truc au service du Prince de Condé. Rassurez-vous, notre Thom n’est pas du genre à se faire du mal pour un peu de crème fraiche qui n’a pas voulu gonfler. Comme je disais au début Thom c’est du solide, du fin et du généreux, et c’est exactement ce qu’il nous a mis dans l’assiette ce soir. Y a pas de hasard !

En ce beau jour, c’est aussi l’anniversaire de Franck Grozan. On y va en chœur de notre « Happy birthday to you  Franky » et on boit du champagne à sa santé dont on souhaite vraiment qu’elle soit au top. Frank, au club, il est dans la catégorie Totem. C’est la sagesse, une des mémoires du Club, de son passé naissant, son présent bienveillant, un sourire inusable, un bon mot toujours prêt. 

Avec tout ça le temps a passé et il est l’heure pour le castor de regagner ses pénates non sans avoir un peu trainé au comptoir, histoire de prolonger la magie de l’instant. A mardi.