28 novembre 2013

Le cuistot de la semaine sonne toujours deux fois

Par le Barde


Le castor se gausse du froid. Il y a bien quelques réfractaires qui répugnent aux premiers frimas et filent direct au trou sans détour par le pré.  Ce détour est un gage d'appartenance, un rite. Nous étions  une vingtaine et le terrain était tracé par la grâce d'Amélie et de son entregent.  Une affaire de musardingue rondement menée.

Ce fut une partie alerte, vive. Il est vrai que JB était là. Et Dudu. Il fit quelques tours de terrain pour étreindre une pelouse vierge encore de ses foulées. Thibaut avait apporté ses cannes. Seb sa vista. Croucrou sa rectitude que l'on retrouve jusque dans ses courses droites et sans fioritures. Quelques ballons tombèrent. Rien que de très ordinaire. Titi se mêla à nous sur le tard. Et. Ce fut une joie de partager la gonfle avec le guépard d'Aguilera dont les adducteurs freinent les sauvages ardeurs. Une belle partie d'hiver. Sans tambours ni trompettes. La trompette, ce serait pour plus tard.

Une odeur exquise se dégageait du trou, une odeur de gibier, délicate, invasive. Un fumet. Difficile de ne pas être saisi sitôt l'escalier dévalé.

Jean-Phi était à la baguette. Il fit son devoir avec sobriété. Pas de chichis, rien que d'essentiel, de juste. A commencer par un velouté de légumes bienvenu en ces temps si frisquets. Avec un peu de râpé. Mais sans croûtons.

Puis ce fut l'apothéose, un gigot de sanglier, croustillant, parfait. C'est lui qui dégageait ce délicieux fumet.  Les espèces invasives ont du goût. Dans la famille Saby, on les domestique : on  élève le sanglier ; c'est une tradition. Et on le cuisine à merveille. 


Le trou, unanime, célébra la venaison, trempa sans fin son pain dans la sauce. Un régal. Et les rares haricots qui accompagnaient la bête n'avaient rien de superflu. Juste ce qu'il faut. Pas davantage. Guitou était là. Il se régala. Lolo itou. Il y alla de son Asterix. Sanglier oblige. Et m'imagina dans un arbre, la lyre bien en mains, pour chanter ce repas de guerriers.


Il y eut bien quelques propos sans queues ni têtes du genre : "T'as les yeux qui puent le cul" (je ne me souviens plus de l'auteur) ou, plus élégants : "Comment conjuguer le verbe passer au futur ?" (Walid).

Vint alors le son du cor. Pas un cor de chasse, pourtant adapté au gigot. Non, un cor de vigne. Un drôle d'instrument achevé par un entonnoir en plastic. La vigne a ses veneurs. Une fabrication sabinesque. Jean-Phi claironna un air de fromage sous les applaudissements du trou. Yannick s'employa à lui succéder. En pure perte.  La fée roulait des yeux jaloux et hurla à la mort du cor. Et de déclamer l’immortel de Vigny  en l’arrangeant un peu:

J'aime le son du Cor, le soir, au fond du trou,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux froufrous,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.


Le lancer d'assiettes fut catastrophique. Dans la lignée de celui de Loulou. Jean-Phi n'en avait cure. Impassible, il projetait la vaisselle promise au carrelage.

Le dessert fut parfait. Une tarte aux pommes, une vraie. Rien à voir avec celles que promettent ces boutiques industrielles qui tuent l'âme de la pâtisserie. De la pâtisserie quoi, de la vraie.

La soirée s'éternisa un peu. Belote de comptoir et bière. La vie en somme, simple et agréable. Une belle nuit d'hiver nous attendait. Pure, lisse, accueillante. Jean-Phi murmura alors ces vers d’Anna de Noailles :

Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,
Toi qui regardes l'homme avec tes yeux d'étoiles,
Vois mon cœur bondissant, ivre comme un bateau,
Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile !

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