21 novembre 2013

Le cuistot de la semaine, Panda Gravity


Par Le Barde


La concurrence de la citrouille ne fut pas rédhibitoire ; il y avait une petite vingtaine de castors à Victor Louis. Il y avait Amélie qui pestait contre l'absence de lignes. Même Perdigue était là, dévoré d'envie, après des semaines passées à taquiner la grappe. Il y avait du Jean-Phi dans ses courses folles. Jean-Phi, lui, n'était pas là. Je crois qu'il est en Chine, Connaissances de l'Est en poche. C'est Donatien qui me l'a confié. La Chine, c'est ce pays qui a su mêler marché et communisme comme si de rien n'était. Les mariages improbables sont les plus sûrs mariages. La vraie révolution culturelle, c'est celle-là. Mao doit se retourner dans sa tombe. La grande muraille de la lutte des classes est tombée. Le monde est cul par-dessus tête. Mais foin de géopolitique, revenons en au pré. Une politique du pré ? Pourquoi pas. Le pré, c'est de la stratégie. Amélie le sait ; c'est notre Clausewitz.

La partie fut équilibrée. Les cannes des uns rivalisaient avec la technique des autres. La Piballe était côté cannes et annonçait, comme à son habitude, des scores illusoires. Walid, côté technique, malgré ses cannes de feu, déchirait sans fin le rideau adverse, sous l'œil admiratif du Toulousain. Depuis le début de la saison, il enquille les essais comme qui rigole Walid. C'est la saison du cèdre. Qu'on se le dise !

Au trou, c'était la mi-temps pour les manchots. 2-0. Loulou, avec son petit polo gris boutonné jusqu'au col avait des allures de gamin. Il arborait aussi un cardigan, au gris plus prononcé. Pas de tablier pourtant. Comme s'il était sûr de ne subir aucune tache. L'immaculé est en lui, le vierge. Je te salue Loulou plein de grâces.
Nous étions au trou des oliviers. Loulou multiplia le cake, parsemé d'olives, en autant de parts que nécessaire. Avec une petite mayonnaise pour atténuer la sécheresse dudit cake. Et c'était délicieux. Pépé saisissait de mince petits bouts entre le pouce et l'index, délicatement, et mâchait chaque bouchée avec une infinie patience, pour n'en rien perdre. De temps à autre, il buvait une légère gorgée de vin et arborait une mine satisfaite en regardant Loulou. Ils communiaient. Et c'était merveille que cette communion entre l'élève et son maître au béret. Pépé nous fit le coup de la madeleine. Et, de mémoire, d’une voix douce, il récita son petit Marcel :
« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulées dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. » 
Putain, mais c’est bien sûr, asséna-t-il, pareil à Raymond Souplex dans Les cinq dernières minutes, ton cake, Loulou, c’est ma madeleine. Je mes souviens maintenant. Je trempais de petits bouts de cake dans un peu de vin rouge. C’était chez ma grand-mère, dans les Pyrénées, à fleur d’Espagne. Deux larmes coulèrent sur ses joues.

Le match venait de reprendre. Walid eut ce trait d'humour aussi fin qu'un grain de taboulet : « De toute façon, ukraignent rien les Français ! Note le bien pour le blog, ajouta-t-il, ce jeu de mots est admirable ! » Lolo, médusé, dépité, chercha, en vain, le regard de son Gros pour se requinquer. Peine perdue, son gros mettait la dernière main au plat principal. D'autres plaisanteries, nées du spectacle qu'offraient les footeux, fusèrent.
- « Tirer un coup pour rien, y a que les manchots » (le vieux quatre).
- « On dirait un joueur de babyfoot l'arbitre » (Domi).
Alors Loulou, déposa ses bienfaits culinaires sur la nappe blanche : du veau aux carottes. Avec beaucoup de carottes. Et Lolo de s'exclamer : « Gros, t'es mieux avec ton marchand de légumes qu'avec ton boucher. » La Jacouille couinait de bonheur. Pour relever le niveau, Donatien cita un haïku de Sode Yamaguchi :
« Qui se soucie de regarder
La fleur de la carotte sauvage
Au temps des cerisiers ? »
Perdigue tomba des nues. « Il a bonne mine ton haïku. Ta carotte et ton cerisier, on s'en bat les couilles. Moi quand je bouffe du veau carottes, je bouffe du veau carottes et tout le reste je m'en branle. » Les Français marquèrent, interrompant les litanies de Perdigue. Le trou manifesta une joie maîtrisée. Sauf Bernachot. Il exulta. À Lolo qui disait : « Bernachatte, tu fais une rechute ? », Walid crut bon de répondre : « Non, il fait une rechatte ! ». Seb pouffait. Bernard (Palanquès) toussotait, un peu comme un marquis devant souffrir les plaisanteries d’un gueux. Loulou, impassible trônait. Et tout le monde de manger son veau carottes lors que les Bleus se dirigeaient vers la qualification.
Et ce fut l’apocalypse. Loulou se dirigea calmement vers le bar, prit les assiettes à dessert et devint frénétique. Sans doute avait-il vu Gravity et prenait-il le trou pour une navette spatiale livrée aux déchets de l'espace et à des éclats de météorites ? Un désastre, une catastrophe, un séisme. Puis il se calma, épongea les gouttes de sueur qui perlaient sur son front et reprit sa place, entre le bon docteur et Pépé qui le réconforta : « C'est rien mon petit lui dit-il ». Pour une raison qui m'échappe What Else mit un tabouret sur la table. Voulait-il entamer une danse du ventre, livrer un bras de fer avec le Tcho ? Nous ne le saurons jamais.
Le dessert ne fut que douceur. Une salade de fruits mêlant mangues, litchis, ananas et bananes. Elle fut la bienvenue. Il y avait du Coco dans cette ultime offrande.
On s'attarda un peu. Une belote de comptoir s'improvisa. Loulou prenait soin de ses petits. Dehors, il faisait froid. La rue fêtait les manchots. Une nuit d'hiver agitée. Nous, on s'en foutait un peu. Loulou, lui, songeait à Moumen, Nieucel et Zani. Il s'endormit bercé par ses légendes. Le rugby est enfance.

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