19 mai 2014

Le cuistot de la semaine, Yannick-sur-Mer

Par Donna Summer



Il y a de hautes herbes. Ils en profitent pour dissimuler leurs intentions. C’est une guerre pacifique filmée par Terence Malik. Il y a des offensives qui jaillissent et des fleurs qui poussent. Il y aurait beaucoup de points de part et d’autres si les combats précédents n’avaient découpé les cuirs et cisaillé les souffles. Si tant de bras et de mains ne s’étaient égarées entre Palerme et Catane. Si tant de synchronisations n’avaient été laissées en gage dans quelque lieu de nuire, au col de l’un ou l’autre cratère semi éteint. Ici, il le précise, ne sont que conjectures tant les langues furent nouées au secret. Peut-être n’y avait-il rien à dire d’autre que la fatigue d’un beau périple et le plaisir d’en être revenu. Et qui pouvaient se lire au bord des yeux.

Puis ils descendirent l’escalier les menant au purgatoire hebdomadaire. A en juger par l’habitude sa vis semblait beaucoup plus longue. La destination avait-elle changée ? Un homme solide ressemblant à Yannick, se tenait devant sa forge façonnant le lest délicieux de ta nuit. D’abord son bras comme un rouage d’usine sur ton épaule, puis le festin sans fin.

Des samoussas farcis de damnation marine ouvrirent le bal d’abondance en un premier repas. Puis vinrent, simultanés, deux autres dîners : la paella au riz blanc gris comme un rachat / le poisson lieu, étoilés de poulpes et de moules. Immenses coups de chalut entre les îles effacées de vos souvenirs récents, déversés là sur notre table. Sorti de l’eau, Poséidon ressemblait aussi à Yannick avec des algues sur les bras. Et il te lançait tes sourires tranchants comme des assiettes qu’il s’amusait à faire exploser juste avant que tu ne les attrapes.

Quatre et sixième repas, nappés d’antiques chansons, le queso puis le chocolat, monumentaux et douchés de champagne anniversaire. Cyclopéen comme à son habitude, le vieux 4, te servit alors d’énormes parts de son âge neuf et tu te sentis assagit.

Il y eut peut être encore d’autres mets ou faits remarquables, mais le barde à la présence regrettée, n’était pas là pour les consigner. Belottes, sabitreries, belle assemblée, nocturne doux, présence de nos hôtes d’Eysine venus en sympathie recevoir le chèque reconnaissant des castors et le discours de leur prez,  c’est là tout ce qu’on peut ajouter.

12 mai 2014

Le cuistot de la semaine, lettre à l'Amiral

Par Le Blogueur


Le 4 mai 2014, 8h30.
A bord du Marco M de l'Ustica Lines.
37,60 mètres. Moteurs : trois Caterpillar 3240 kw. Vitesse : 31 nœuds.
Cap sur le Stromboli.

Cher Amiral

Comme tu peux l'imaginer, au bout du troisième jour en Sicile, quelques gueules sont déjà défaites. Surtout la mienne puisque je viens de courir les trois kilomètres qui séparent l'hôtel Arciduca du port de Lipari avec un sac à dos bourré de victuailles et des godasses de marche qui font 1 kilo chacune.

Oui, le réveil était difficile après une soirée facile au Caffe la Vela sur la Marina Corta où le mojito coule à flots au rythme chaloupé des vagues de la Méditerranée qui viennent caresser ce petit port à la gloire péniblement portée par quelques marins pêcheurs.

Connais-tu ce petit port ? Peu importe, je t'y imagine dans ton costume fringuant taquinant le rhum du haut de tes vingt balais. Je te vois accoudé sur ce comptoir où tu tiens encore fièrement debout après avoir couché tous les matelots qui ont passé la soirée à coup de cul sec et de lèvres humides.

Bref, les lendemains tanguent sur ce bateau rapide qui fend les vagues en direction du Stromboli.

Je t'écris pour te dire que toi et les autres castors restés au port de la lune, vous nous manquez terriblement.

Mais pourquoi cette lettre t'est particulièrement adressée ? Eh bien voilà mon Amiral, je l'avoue de bon gré. Depuis notre passage à Messine où l'on pêche la sardine – et non pas à Lorient où on pêche le hareng –, j'ai le goût de ce plat que tu nous as mijoté un soir de mardi où nous nous sommes retrouvés si peu sur le terrain pour une partie frileuse de rugby à toucher.

Nous étions tellement heureux de regagner notre trou qui baignait ce jour là dans la sérénité de ta carrure et les effluves de ta bouillabaisse.

C'est vrai que rien n'a été fait sur notre carnet de bord virtuel depuis. Quelle vie nous emporte autant dans le tourbillon du temps immédiat pour se passer si vite d'un tel hommage !? Sommes nous devenus aussi ingrat mon Amiral pour perdre si vite le velouté de ta soupe de poisson qui chatoyait si bien nos papilles ? Sommes nous devenus des Ulysses qui ne suivent que le chant faux des sirènes ?

Rassure toi, si tel était le cas, ce bout de terre qui pointe son nez hors de l'eau pour cracher son feu à la barbe d'Éole nous rappelle combien sont inscrits dans certains cœurs les fondamentaux du sacrifice et de l'abnégation. Tout toi mon Amiral.

Car ici, chaque jour qui passe nous compte les hommes de ton envergure qui ont su prendre la mer pour permettre à de simples terriens insouciants que nous sommes de venir gambader dans le sable noir de ces îles brûlantes de souffre et de braise.

Car ici, chaque repas boude la viande et n'a de cesse de piocher dans la mer proche pour remplir les gamelles.

Car ici, les paysans sont des pêcheurs et leurs bétails fusent dans les profondeurs et ne gagnent l'enclos que par l'autorité des filets.

Chaque bouchée d'espadon farci ou de calamar encré nous ramène à toi. Nous sommes venus jusqu'à ces côtes inconnues pour se nourrir de poisson que tu portais jusqu'aux entrailles du trou. Et Ô combien nous fumes aveugles de ne point reconnaître ta besogne. Ô combien nous fumes avares de compliments devant l'art donné à nos bouches par ta cuisine.

Mon Amiral, ce jour là, avec le Stromboli en vue à bâbord, nous nous sommes regroupés sur le pont du Marco M pour louer ta science de la cuisson maritime, nous avons prié ta bouillabaisse dans l'espoir qu'il nous soit pardonné le pêcher de l'oubli et de l'indifférence.

Il ne tient qu'à toi de recevoir nos prières. Mais ton âme est aussi grande que la mer et aucun doute que ton indulgence saura reconnaître nos misérables repentances.

« Me voilà
là où le bleu de la mer
est sans limite »
Haiku de SantōkaTaneda

01 mai 2014

La cuistot de la semaine, Régis ou la gastronomie nomade

Par Mozart


Le message véhiculé via le tocsin numérique sonné par Patrick D s’est propagé parmi la horde des castors. Pour cause de maintenance, le terrain de Victor Louis ne pourra accueillir ses hôtes du mardi soir. Sous réserve de trouver rapidement, c'est-à-dire instantanément, une solution de remplacement il n’y aura pas d’entraînement ce mardi. Donc pas d’entraînement. La nouvelle est fâcheuse. A la veille du départ pour sa tournée en Sicile, la célèbre équipe de Rugby, Archiball Bordeaux ne va pas pouvoir effectuer les ultimes et millimétriques réglages nécessaires à la dernière mise au point des phases de jeu élaborées avec assiduité et minutie depuis le début de la saison. Les « responsables terrain » se sont consultés et ont convenu que compte tenu du niveau technique exceptionnel de leurs joueurs et du sérieux avec lequel ils se sont préparés tant sur le plan collectif qu’individuel, un simple warm up avant le match devrait faire l’affaire. Ouf !  

Maintenance ? Maintenance de quoi me direz vous. Notre terrain est une véritable merveille. Les trombes d’eau que le ciel a déversé tout l’hiver sur lui et nos pauvres têtes n’ont pas réussi à former la moindre flaque à sa surface d’un vert immaculé. Chacune de nos foulées a été accueillie par une épaisseur de pelouse à rendre jaloux les jardiniers de Buckingham Palace. 

Justement, c’est pour ça qu’on a un super terrain. C’est parce que NOS jardiniers à NOUS ne sont pas des blaireaux, ils savent quel est le meilleur moment pour faire ce qu’il faut. Ca s’appelle de la bonne gestion, de l’anticipation. Pour que ça continue à aller bien, il faut faire les choses nécessaires quand tout va bien, même si ça gêne, même si les décérébrés à grande gueule ne comprennent pas. Ne pas attendre que les problèmes vous tombent sur le nez pour agir, voilà la clé. Ca me fait penser à un truc. Je ne sais pas vous, mais moi j’enverrais bien les mecs à large front faire un stage de jardinier à leur sortie de l’ENA. Nos jardiniers ayant refusé le pont d’or proposé par ceux de a perfide Albion, ces derniers on fini par goudronner devant Buckingham Palace, ne gardant que la partie engazonnée au delà du Victoria Mémorial qui lui fait face, et nous, on a notre super terrain de Victor Louis. 

Bref tout le monde s’est rendu directement au Club. Enfin, tout le monde sauf Dudu, qui n’a pas encore totalement appréhendé le tocsin sous sa forme numérique et qui s’est pointé au terrain avant de rallier le Trou.

Au 1 rue de Bègles, Régis est aux fourneaux depuis pas mal de temps quand arrivent les premiers castors. Des effluves délicats et exotiquement épicés montent doucement l’escalier et viennent accueillir les arrivants en leur harponnant doucement les narines. Ces senteurs envoûtantes les attirent vers les profondeurs de notre antre aussi sûrement que le chant des sirènes vers les récifs du détroit de Messine. Serai-t-ce une mise en garde prémonitoire à la veille de notre voyage à proximité du dit détroit, le docteur Ulysse préconise d’ajouter dans la trousse d’urgence, des boules Quies et quelques mètres de corde pour parer à toute éventualité. Les membres de la troupe arrivent en ordre clairsemé. Le contexte particulier de cette semaine d’avant voyage et sans pré, divise par deux l’affluence habituelle, dommage ! A noter par bonheur les présences de notre Chairman toujours prêt à mener la chorale et d’Alain F. de Kouroucoucou.    

Régis, c’est son premier tour de bouffe aux Archi et il nous a concocté un menu en forme de carte de visite et de carte au trésor. Suivant l’itinérance d’un papa militaire, il a ramené de son enfance au Maroc quelques recettes qui font notre bonheur. 

Dès l’apéro, les olives à l’ail, au citron ou aux épices agrémentent les sempiternelles mais toujours appréciées cacahuètes qui accompagnent fidèlement la pression servie par nos barmans de choc.

Quelques minutes après l’heure règlementaire claironnée par la douce voix de Pépé, nous passons à table en nous regroupant coté Muppet Show. Pour entamer la partie solide, une harira vient emplir généreusement nos assiettes. L’harira est la soupe traditionnelle Marocaine. C’est elle qui rompt le jeune durant le ramadan. Celle de ce soir à base de lentilles, pois chiches, oignons, œuf est à la fois délicatement et fermement relevée par un dosage subtil de coulis de  tomate, persil, coriandre, safran. Une pincée de sel supplémentaire lui donne l’équilibre parfait, celui qui  vous stimule les papilles à la dégustation mais vous les rend en parfait état de marche pour savourer  la suite. Profitant de l’absence de ceux qui ont eu bien tort de ne pas être là, les volontaires pour une deuxième tournée n’ont aucun scrupule à se resservir.

Ce soir pas de bêlements du troupeau affamé car suit dans un parfait timing, le tagine de poulet au citron confit. Agrémenté d’oignons, coriandre, safran et gingembre, il nous est aussi servi avec générosité et accompagné de riz. Un véritable régal qui stimule la bonne humeur et les chants montent sous la houlette de Coco en chef de cœur. Walid égrène les noms de ceux dont l’anniversaire proche, passé ou futur appelle à ouvrir le Champagne. Cette litanie déclenche autant « d’happy birthday to you » qui eux mêmes provoquent l’ire de Pépé qui ne supporte pas ces dérives Anglicisantes. 

Epoustouflés par la performance culinaire de Régis, d’aucuns cherchent chez lui le coté féminin qui expliquerait la chose. Mais devant la difficulté de cette analyse, les arguments manquent. L’évocation par Perdigue d’une ancienne conquête d’origine Portugaise qui sur le plan pileux pouvait, peut-être, soutenir la comparaison fait long feu et le débat sur la théorie du genre retombe comme un soufflet mal cuit. 

Le lancer d’assiette sur fond sonore de piste aux étoiles s’effectue sans incident notoire si ce n’est un refus de réception caractérisé de Bernatchat. Le bon fromage au lait  sollicité en chanson arrive avec le Munster, pas celui d’Irlande, celui de Moselle en référence à la petite enfance de Régis né à Sarrebourg.
Enfin, le Pastis des Landes avec sa crème Anglaise, les Landes où Régis a passé son adolescence avant de venir à Bordeaux pour ses études, clôturent ce menu hétérogène et néanmoins délicieux. Comme toujours, les menu concoctés a tour de rôle par chacun d’entre nous racontent une histoire sur leurs auteurs.     

El Poulpo dont c’est l’anniversaire fait péter le champagne. Les conversations roulent autour et par-dessus le comptoir refaisant le monde un peu mieux que ce qu’il n’est. Apres le café pour les plus raisonnables et un verre supplémentaire pour les autres, le noyau dur se dissout peu à peu et chacun remonte doucement à la surface pour y retrouver la vie ordinaire.