03 avril 2014 Etape du jour : Lobuché - Gorak shep - Camp de base de l’Everest - Gorak shep
Six heures du mat, j’ai des frissons. Température dans la chambre -5° m’annonce Daniel mon binôme nocturne. Bof, on commence à être habitués. L’épaisse couche de glace à l’intérieur des vitres de la fenêtre nous empêche de voir à l’extérieur.
Nous préparons nos sacs et retrouvons Prakach notre guide, Patrick et Pierre, nos deux autre acolytes pour le petit déjeuner. Un coup d’œil à l’extérieur nous fait découvrir un paysage totalement pelliculé de blanc. Une mince couche de neige recouvre toutes choses mais le soleil se lève dans un ciel vierge de tout nuage.
Un hélicoptère se pose à quelques encablures de notre Lodge. Il dépose deux personnes et repart après quelques minutes sans avoir arrêté son rotor. Après un décollage en rase motte, il plonge dans la vallée et disparaît à nos yeux faisant s’envoler une escadrille de corbeaux dérangés par ce bruyant confrère.
Après un copieux petit déjeuner, standardisé sur le mode, café ou thé au lait, pain Népalais, miel, nous prenons le chemin de Gorak Shep que nous atteignons deux heures quinze minutes plus tard. Le Buddha Lodge nous accueille. C’est le dernier asile au bout de la vallée de l’Everest, un peu plus au nord, c’est rapidement le Tibet. Le plafond et les murs du dining room au milieu duquel trône l’inévitable poêle à bouse de yak séchée, sont tapissés de drapeaux, t-shirts, photos et autres bannières, témoignage du passage de leurs détenteurs. Je me dis que c’est peut-être là que j’épinglerai le fanion de mon Club, on verra !
Nous prenons une bonne Rara soup, excellente spécialité locale composée de bouillon de poule avec des nouilles, avant de repartir en direction du camp de base. Nous progressons dans notre ascension, entourés de géants de roche et de glace, fascinés par leur beauté, intimidés par leur majesté mais attirés par le défi, puisque ils sont là. Cela fait la troisième fois que nous passons les 5300m en quatre jours mais l’exercice est toujours aussi éprouvant dans cet air raréfié. L’eau gèle dans la pipette de nos Camel-bags, celle des gourdes est agrémentée de paillettes de glace qui craquent sous la dent. C’est je dois le reconnaître, pour ma part, avec une certaine émotion que nous atteignons le point symbolique du camp de base dont les tentes jaunes posées à même la moraine glacière nous apparaissent en contrebas.
Bien sûr notre performance reste modeste quand on pense à ceux qui s’attaquent à ces monstres qui nous entourent. Le plus haut et le plus connu d’entre eux, l’Everest, Sagar Matha pour les Népalais, n’est pas, pour les spécialistes, le plus difficile. Nous sommes malgré nos efforts et nos quelques mérites au pied d’une montagne de défis incomparables pour atteindre ces sommets. Surmonter ces difficultés implique un engagement extrême allant parfois jusqu’au sacrifice. Je pense à ce Canadien aux allures d’Hemingway croisé la veille à Lobuché, ayant perdu la quasi-totalité de ses doigts des deux mains, j’imagine ses pieds, et qui revient obstinément relever de nouveaux défis dans ces montagnes qui lui ont tant pris. Les pertes en vies sur certains sommets on ému les autorités Népalaise au point de les interdire. Le Machapuchare qui culmine à « seulement » 6993m n’a jamais été gravi jusqu’au sommet. Il a été rebaptisé Montagne sacrée et interdit par les autorités. Nous devons, demain, gravir le Kala Patthar situé au sud ouest, pas loin de nous et plus haut de 200m, mais l’endroit ou nous sommes est symbolique, c’est le Camp de base d’où partent toutes les expéditions aux destins heureux ou tragiques.
Nous nous congratulons au pied de l’amas de roche enguirlandé des couleurs Népalaises, qui marque l’endroit. En ce lieu magique mes pensées s’agrégent autour de ma famille qui, bien sur, s’inquiète pour moi mais est heureuse de me voir réaliser mes projets, mes amis, mes proches. Je tire de mon sac le petit fanion qui représente l’autre partie de ma famille, mes frères Archiball. La question que je me posais sur l’endroit où j’allais laisser le blason de mon club n’a plus d’objet, sa place est là, c’est évident. Dans ce site grandiose qui symbolise l’éphémère et l’éternel, mon petit fanion finira par partir en lambeaux au fil du temps, il est curieusement intégré et particulier. Intégré car il a les mêmes couleurs que les guirlandes de drapeaux dont les Népalais se servent pour orner les sites remarquables. Bleu pour le ciel, blanc pour l’air, rouge pour le feu, vert pour le cosmos et jaune pour la terre. Drôle de coïncidence me direz vous, je n’en crois rien. Le destin dans la grande cohérence de son projet universel a prévu depuis longtemps que certains sommets devaient se rencontrer. Je veux croire que dans une sorte de boucle logique, il a pour ce faire guidé nos aînés dans le choix de ces couleurs et attendu que je me rapproche du plus près que je puisse pour saluer ceux d’entre eux qui s’en sont allés, quelque part, quelques étages plus haut et qui nous observent avec bienveillance. Je ne suis que l’instrument de la réalisation de cette évidence. Je leur fais un clin d’œil, j’espère qu’ils sont fiers de nous.
Il ne me reste plus qu’à choisir l’endroit ou placer mon fanion. J’opte pour le fixer sur la couleur verte, celle du cosmos, qui est, il faut bien en convenir le lieu de résidence d’un certain nombre d’Archiball. C’est de là que nous venons et c’est l’endroit où nous repartirons tous un jour ou l’autre. Il nous faut être patients pour arriver à fixer l’image du toit du monde qui se refuse à nous derrière un flux constant de nébulosités. Nous nous apprêtons à repartir quand un petit gars du Tennessee avec lequel j’ai échangé quelques mots un quart d’heure plus tôt, entame un striptease pour se faire photographier en caleçon, sûrement à la suite d’un pari. Il se positionne donc au meilleur endroit, c'est-à-dire juste à coté de mon fanion. J’imagine une des personnes à laquelle il enverra la photo à Memphis ou ailleurs, zoomant sur ce petit truc à la fois pareil et différent à coté de son copain. Elle pourra peut-être lire « Archiball Bordeaux » tapera ces deux mots sur un moteur de recherche et tombera sur notre blog. Tous les jours, des quatre coins du monde, quelques dizaines de personnes se font photographier à cet endroit.
La mousson viendra bientôt, submergeant de neige ce lieu mythique. Mon petit fanion résistera-t-il pour une saison supplémentaire, il me plait de le croire. Peu importe, il aura accompli son destin qui n’était pas de finir à la poubelle après avoir été épinglé aux murs surchargés d’un Lodge du bout du monde. Nous revenons sur Gorak Shep la tête pleine d’images grandioses et le cœur chargé d’émotions. La fin de la journée et la partie de carte du soir ont, même sans bière car la journée de demain est encore costaud, ce goût d’après match, suite à une victoire arrachée à un adversaire méritant et quand on a le sentiment d’avoir joué, juste.
JB - QLCVP