14 janvier 2015

Le rôti de Titi, Rûmî et la roupie de sansonnet


Par Le Barde
 

 
La douceur d'un soir d'hiver. Louer la douceur d'un soir d'hiver si propice à nos jeux d'enfants. Nous étions une petite vingtaine sur le pré. Avec moult gamins. Quelques vieux et d'autres qui balancent entre deux âges. Guitou avait pris les affaires en mains et rassembla les plus alertes. En sorte que la partie fut d'abord bien inégale. Et puis, peu à peu, elle s'équilibra. Le cuir, de temps en temps, léchait l'herbe humide. N'importe, les essais allaient bon train.

Au trou, notre pinson, ceint d'un tablier sobre et élégant, était aux affaires. L'assemblée tutoyait la trentaine de membres pensants. Le général était là ainsi que Lolo avec son petit d'homme. Dudu prit une pinte de Ricard pour désaltérer son corps fourbu. "Ça fait bander le Ricard paraît-il" dit Fayou. "Non c'est le 51 qui fait bander corrigea Pépé. Du moins c'est ce que l'on dit. Moi, je n'ai jamais pu le constater. Tout ça, c'est des conneries." Et le Tcho d'opiner du chef. Le Tcho qui vient de se mettre au piano, nous promettant une marche turque avant la fin de l'année.

Il y avait, bien sûr du pâté Lou Gascoun sur la table. Tradition oblige. Entre Titi et Lou Gascoun, un lien indéfectible s'est noué. Mais ce fut par une soupe de pois rouges que tout commença, un velouté, doux comme ce soir d'hiver et se mariant avec évidence à ce bon vieil Hauchat, à son étiquette au coquelicot flamboyant. Les mauvaises langues chantaient merci Isa, alors qu'Isa est à Strasbourg. C'est notre Titi qui avait commis cette soupe. Pourquoi diable ne pas rendre à César ce qui lui revient ? Il faut franchir le Rubicon de nos clichés.

Puis, nous eûmes droit à une délicieuse salade de lentilles avec, ça et là, quelques brins de carottes. Rien à dire. "Elles sont au poil ces carottes" s'exclama Jean-Phi qui voulait exprimer ses lettres. Il fit un flop. La Fée prit le relais et de dire : « La salade de lentilles de Titi, c’est pas de la roupie de sansonnet ! ». Il ne s’arrêta pas là. « La roupie de sansonnet est une expression qui prend son origine dans le parler populaire du Moyen Âge. La « roupie » signifiait alors la « goutte au nez ». Pourquoi ce lien entre cet oiseau étourneau sansonnet et la goutte au nez ? Et bien, il s’agit, très certainement, d’un détournement de sens à partir « de la roupie de son nez » ou à partir de « la roupie dessous son nez ». Dès le moment où la compréhension de « roupie » s'est perdue au XIXe siècle, le parler populaire a reconstruit « sansonnet » à partir de « son nez » après avoir tenté de créer « de la roupie de singe », autre forme attestée et construite sur « la monnaie de singe » mais sans succès populaire. » Il y eut un long silence, un très long silence. Puis les conversations reprirent.
 

Léo fit de la petite compagnie qui l'entourait un coin pour cinéphiles. Ainsi eûmes-nous l'occasion de l'entendre chanter les vertus du film Yves Saint-Laurent ; Celui de Jalil Lespert pas celui de Bertrand Bonello. Il s’étendit aussi sur La vie d'Adèle. Puis il rendit un hommage appuyé à Michel Audiard. Et de citer, en l'arrangeant un peu, la fameuse phrase : "T'as le droit d'être sentimental quand tu t'es fait enculer." Pas à dire Léo, il est pétri de culture. "Ça fait plaisir, ils sont toujours aussi cons !" me glissa à l'oreille le Général.

Titi avait mitonné un rôti de porc, parfumé au laurier-sauce (parfois appelé laurier d'Apollon), relevé de quelques oignons. Le tout préparé sur un lit de vinaigre balsamique. La chair onctueuse, savoureuse du rôti de Titi fit un tabac. Les pommes de terre al dente qui l'accompagnaient un peu moins. Trop al dente pour certains. Amélie nous vanta les mérites de ses petits qui sont premiers de leur poule. On devisait sur l'Union. Léo évoqua ses déboires véhiculaires. Plus de permis.

Le lancer d'assiettes fut parfait. Pas une ne joncha le sol. Maria passera un mercredi moins difficile. Il y eut bien sur du Cancoillotte et du Côte d'or. Notre Pinson jamais n'a renié ses origines. Puis des poires pochées avec de la glace à la vanille et une sauce au chocolat. Amélie se dispensa des poires mais pas de la glace et du chocolat.

Une belote de comptoir se dressa au coin du bar. De petits groupes devisaient. Il y eut bien quelques sottises sur ces arabes qui n'aimeraient pas l'occident depuis plus de mille ans. L'obscurantisme n'est pas toujours où l'on croit. Peu importe, les amoureux de l'Andalousie savent ce qu'une culture mêlée peut produire de beauté.
Et je ne résiste pas à vous proposer un quatrain de Rûmî que le monde de l'Islam désigne comme son maître :

"Chasse de ton cœur la cupidité, la jalousie, la haine
Change tes mauvaises habitudes, tes mauvaises pensées.
La négation pour toi est néfaste
L'amour est ton salut, augmente-le."

Je rentrais à demeure. Avec Léo puisque Léo n'a plus de permis. Il y avait un rondo de Mozart à la radio. La grâce est bel et bien de ce monde. N'est-ce pas JB ? Rûmî, Mozart, la vie est belle. Je pouvais me glisser dans les bras de Morphée. Le corps fourbu et la paix dans l'âme.

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