09 janvier 2016

Le cuistot de bouffe, Le pot au feu de Croucrou pour embraser la nouvelle année…

Par Le Barde et Réglisse



Ah ! Les premières passes de l'année sur le pré. Peu importe la pluie, le vent. Des peccadilles. Le rugby se moque du temps, du temps qui passe, du temps qui va, du temps qu'il fait. Il compose sa petite éternité à lui tout seul. Un monde en soi où il fait bon vivre. Peu importe si le cuir s'échappe de nos mains, si nos courses sont un tantinet lentes, désaccordées. Seul compte le plaisir de taquiner la gonfle. Et de recouvrer, peu à peu, l'art du geste.

Nous étions une douzaine. Walid était très, très affuté et nous gratifia de deux essais d'école. Il y avait du Conrad Smith dans sa manière de se défaire de son vis à vis, de l'embarquer et de le laisser coi et pantois. Toto était en cannes, as usual, et Dudu mystifia, avec superbe, la défense adverse. Le temps est une bagatelle. Regis rugissait, Serge râlait un peu mais ses crochets n'ont rien perdu de leur vivacité. Jeff pestait contre ses passes imparfaites et Jean-Phi courrait comme un beau diable. Titi s'amusait comme un pinson. Hamilton enfin caressait la béchigue. L'ordinaire du pré en somme. Un ordinaire auquel El Poulpo apporta sa contribution avec grâce et efficacité. Comme pour faire la nique au présent, le triste présent pascalien. Le rugby est un art de vivre et, partant, une philosophie. Une philosophie en action. Un concept qui se gargarise de la seule pensée et fait fi d'une possible traduction dans le réel n'est que ruines de l'âme.

Au trou, Croucrou était le premier de cordée. L'assemblée était garnie. Croucrou avait ceint son corps d'un tablier blanc. Il souriait sous le regard affectueux d'Amélie. Pépé était là bien sûr, accompagné de sa fratrie. Le Général nous retrouvait. Toujours aussi digne.

C’est le premier repas de l’année au trou. C’est un Croucrou Ricou d’ouverture ! Le cuistot du soir n’est pas le seul à faire parti de la fameuse bande des Ricous. Pour ce soir, deux seront sur le pré et un au fond du trou, seul avec sa marmite. Enfin après réflexion, ils étaient pour tout dire un et demi sur la pelouse. La préparation physique est là, le clan des Erics a signé pour 2016 une présence sur tous les fronts. Un sur le pré, un demi sur la touche et un autre de Bouffe. Le Barde pour sa part est la constance réincarnée, pas celle de d’Artagnan mais presque… il ne s’appelle pas Eric pour rien. Il pense et compense en alexandrin la blessure de l’un et la cuisine de l’autre. Les trois réunis ne sont jamais aussi redoutables que lorsqu’ils sont séparés. De vrais mousquetaires de la distribution en ballon, en alexandrins et en tours de bouffes. Les Erics sont ainsi, ils ont le sens du partage. Les mots, les bons mots, les chansons, que des plaisirs de bouche en somme. 

Jean Phi poussa pour l’occasion la chansonnette, il y a en ce début d’année beaucoup de nostalgie, l’hiver nous éloigne de nos étoiles. Ainsi va le temps… Son art dans la compresse du raisin, il l’excelle à ses heures dans la vendange de parole pour cette fois ci les bonifier en chansonnettes. Déformation professionnelle, tout ce qui est jeune et bon doit pouvoir vieillir. Le fameux « dit l’aime » du vendangeur. Comment ne pas mélanger le neuf et l’ancien… Bref quand nous parlons des Ricous, Jean Phi chante du Sardou…

« Si les ricous n’étaient pas là
Nous serions tous, sans enduits
A manger je ne sais quoi,
Et à lire je ne sais qui »

Lorsqu’il pleut, Pépé se fait attendre par les castors qui sont pressés de se mettre à table à l’heure. Tandis que certains hibernent, Pépé garde sa pendule à l’heure près du frigo. Au trou, il n’y a pas de frigo sans horloger ! Ce n’est que du bonheur quand le trou est rempli. Bref, il a fait faim ce mardi pour ne pas laisser le temps aux joueurs de se désaltérer après la mouille et l’effort. La table en revanche est bien remplie. Seuls trois retardataires resteront sur leurs pattes au bar.

L’entrée est une terrine de poisson et sa sauce mayonnaise. Un délice pour les épicuriens que nous sommes. La quantité est présente et répond à l’appétit de la troupe. Serge qui vient de Lourdes y trouva un semblant de miracle. La magie d’une entrée à table. Les stagiaires ont des habitudes qui se font à y croire sans préliminaire. Une apparition pour certains, une conversion pour d’autres. Stéphane jeune recrue ferma ses paupières et pria de son côté la bonne mer !

Les discussions vont bon train, le partage des vœux et des vieux mobilisent des réflexions d’antan. Walid résiste à chaque tournée pour dévoiler son secret de la fameuse feinte du muezzin. Son doigt favori la connait mais se prête lui aussi aux vœux du silence. Elle se pratique sur le pré, par n’importe quelle météo, et reste dévastatrice au bord de la ligne de touche. Pour ma part, je suppose que l’homme qui maitrise les traits d’union et d’humour, semant quelques coquelicots en image par ci par là, réalise un retraçage des lignes du terrain à l’insu du plein pré de son adversaire. Sans mordre la touche, je vous prie pour mieux nous faire mordre la poussière. Tout ça en faisant une roulette. Son compère dans mes souvenirs n’en fait pas. Pourquoi tourner sur soi quand on peut faire tourner l’autre sur lui-même. C’est une des différences entre un jeu d’avant et un jeu d’arrière, même si notre minaret a plus un physique de secondes lignes voire de troisièmes lignes bien à l’honneur ce Mardi au trou. Tout ça pour aboutir au plat principal. Comme quoi les entrées prennent de la place au trou.

L’homme de bouffe s’agitait en cuisine pour mieux satisfaire ses potes. Quoi de mieux pour combler ses potes que de leur servir un pot au feu. L’Eric de Bouffe a du roi en lui. C’est de l’étymologie à l’état pur ! Son choix est noble et son plat emblématique du sens du foyer et d’une réception accomplie. La chaleur tient dans le feu de l’ambiance et des plaisirs de ses plats qui ont une longue cuisson et nous rattache à une longue histoire. Le pot nous rapproche du foyer avec son béret, ses chabrots (pas ceux que l’on porte aux pieds mais que l’on porte en bouche, cf. le guide illustré du petit Sabite) et des parfums nostalgiques de l’antre de nos ainés. Pépé embrassa le cuistot. Le béret c’est son domaine. Le couvre-chef ne cache pas uniquement les fronts dégarnis par l’usure du temps ou des entrées râpeuses en mêlée mais témoigne surtout d’une appartenance inconditionnelle à son foyer. La confrérie de la coiffe des prostateurs n’a rien à voir avec tout ça… (Amis de la rééducation fonctionnelle et des épaules déboitées levez-vous !). Pour sa part, le pot au feu en question décoiffe ! Point de moutarde pour s’associer au plat. CrouCrou avait préparé une sauce majestueuse, mélange de vert et de blanc dont le secret restera familial. En tout cas, l’ensemble est explosif en bouche. Jacquot amateur de bonne chair, se permit de rajouter un peu de viande sur la sauce. En tout cas, béret bas pour notre hôte !

Le lancer d'assiettes inaugural fut audacieux. Croucrou a la main énergique et précise. Comme par miracle, il n'y eut que très peu de casse. Les rares assiettes qui rencontraient le sol ne se brisaient pas. Pépé pestait pour la forme.

Le fromage était exclusif. Un seul suffit à nos envies. Et c'était très bien ainsi. Le Sabite se mêlait avec réticence à ses effluves prononcées. Le Sabite est délicat. Comme le vieux quatre, en pleine forme.

Bien sûr nous eûmes des galettes. Épiphanie oblige à un jour près. L'Épiphanie est un mot d'origine grecque, Ἐπιφάνεια (Epipháneia) qui signifie «manifestation » ou « apparition » du verbe φαίνω (phaínō), « se manifester, apparaître, être évident ».Ça lui va bien à Croucrou d'honorer les mages, d'être d'épiphanie ; il est sinévident. Le hasard n'existe pas. Il avait eu, en outre, le bon goût de réchauffer les galettes. Elles étaient tièdes à souhait. Le vieux quatre compléta par un champagne bienvenu ce repas inaugural. Il faut dire que le vieux quatre est grand-père. Et ça lui va bien.

La belote de comptoir était fournie et disputée. Jeff tentait le diable. Lors que Serge ajustait ses annonces comme il ajuste ses dives passes. La belote s'éternisa. Comme pour mieux reculer l'étreinte de la nuit.

La pluie caressait le trottoir. Pas d'étoiles. Franck dormait sans doute et JB rêvait d'un ciel bleu et dégagé. Léo chanta la nuit enchanteresse des pêcheurs de perle. La pluie s'arrêta par respect. Puis reprit l'air de Bizet comme si de rien n'était. La réalité est un songe, un doux songe. Et c'est très bien ainsi.

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