20 mars 2014

Le cusitot de la semaine, la dame de Shangaï

Par Le Barde


Une kyrielle de bambins parsemait le pré. Les pauvres vieux étaient au supplice et tiraient à hue et à dia leurs corps récalcitrants. Seul Guitou dominait ses artères et s'épargnait la course de trop qui aurait accusé le poids des ans.

Non, il n'y avait pas que Guitou. Je suis injuste. Titi aussi tirait son épingle du jeu. Il y a de l'aigle dans notre pinson. Lorsqu'il intercepte la gonfle, on dirait un aigle de Bonelli.  La partie fut équilibrée. Les bambins étaient également répartis. Des bambins dans l'esprit, sans un mot de trop. Dans le tempo en somme. Ce bain de jouvence est un signe des dieux.

Corsenac était en cuisine. Exit le pré pour ce troisième ligne de haut vol, faute de  cartilage. Toutes choses qui ne le dispensent pas de commettre ses devoirs. Et il les commet bien. Fidèle à ses us et coutumes, il fit dans l'asiatique. Exit fourchettes et couteaux, et vive la baguette.

En entrée, des nems. Et Titi d'entamer un Que je nem Que je nem de circonstance. Des nems, il y en avait à profusion. D'autant que la chambrée était modeste. Pour le plus grand bonheur des jouvençaux qui ont bel appétit. Les nems n'exigent pas de baguettes. En sorte que tout un chacun était à son aise. Sauf Alain-Charles qui ne peut s'empêcher de jouer de la baguette, même lorsqu'elle n'est pas de rigueur. La rigueur, Alain-Charles, il s'en branle. Alain-Charles dont le père créa un bureau d'assurances à Saïgon à l'enseigne de la Préservatrice. La fin des colonies le dispensa de naître au pays d'Ho Chi Minh. Quant à la Préservatrice, c'est une autre histoire. Nul doute qu'Alain-Charles sut en tirer les leçons !

Le riz, nature ou cantonais est affaire de tradition. Jean-Louis n'y dérogea pas. Mais le riz ne vaut (non, mon Perdigue, je ne pousserai pas le mot jusqu'au riz de veau) que s'il est accompagné. Et de l'accompagnement nous en eûmes. Du doux avec le porc au caramel. Du relevé avec du boeuf aux épices. Et là, les baguettes s'activèrent. A ce jeu, la prime de la délicatesse revient à Guitou. Quelle élégance ! Il est capable de saisir un seul grain de riz entre les deux petits bouts de bois méticuleusement taillés. Du grand art. Jacouille, lui, bataillait avec l'instrument sous le regard accablé de Pépé et du Général.

Le lancer d'assiettes fut corsenaquien. Rude, tendu, sans esbrouffe. Le résultat fut couçi-couça. Guitou eut droit à un petit éclat sur sa gorge glabre. L'inquiétude était à son comble. Le Général y mit un terme. Point d'intervention. Alain-Charles, goguenard s'en prit aux fragilités de Guitou. Alors celui-ci étala son pedigree rugbystique. Et Alain-Charles le sien. Un matcH dans le match. Le BEC contre le stade Bordelais. Qui pour distinguer le vrai du faux ? N'importe, deux légendes s'affrontaient devant une assemblée conquise.

Il y eut du fromage. Une entorse à l'Asie et une reconnaissance de l'identité française. D'autant que le brie était coulant à souhait. Je me garderai d'omettre la tendresse du Comté. Enfin vinrent les douceurs du nougat et d'une salade de fruits aux lychees abondants. Un petit saté bienvenu mit de l'ordre dans nos ventres repus.

Nous n'avions plus qu'à regagner nos demeures. Le cœur léger. Le ciel se dégrisait. Quelques rôts célestes s'élevèrent vers qui de droit. Je doute que Saturne soit resté taciturne.

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