18 décembre 2014

Le cuistot de la semaine, harira bien qui harira le dernier

Par le Barde


Un crachin d'hiver, un petit crachin d'hiver, et le pré se dégarnit. Il suffit de peu de choses pour tiédir nos ardeurs, d'un petit crachin de rien du tout. N'importe, la douzaine de castors s'en donna à cœur joie. Jeunes ou poivres et sels. Si l'équilibre entre les générations ne fut pas de mise, la partie, pourtant, fut équilibrée. Jean-Phi, égaré, parmi les plus que cinquantenaire se régala. Certes, il n'y avait pas JB, mais en bons disciples, Hamilton, Dudu et moi-m'aime, nous préservâmes l'esprit et le geste de notre mentor. Malgré le crachin et nos cannes traînant leur âge comme des âmes en peine. Le rugby est aussi, et, peut-être, avant tout, une affaire de bras, de mains. Toutes choses qui préservent des affronts du temps. En sorte que le poulpe et Jean-Phi purent à maints reprises déchiraient le mur qui se dressaient devant eux grâce aux offrandes de leurs pères. En quoi l'âme, sans doute, se niche surtout dans les bras, les mains qui sont les conditions de l'offrande. Amen.

Régis, fraîchement émoulu membre, était de cuisine. Il fit dans l'interculturel en ces temps de Noël. Dépassant le cadre si judéo-chrétien de notre calendrier, il taquina la muse culinaire du côté de ce monde musulman dont les bienfaits irriguent notre culture depuis des siècles. Il n'y a que les sots pour ne pas en convenir. Je leur recommande, à cet égard, Le fou d'Elsa de Louis Aragon.

En entrée, de l'harira. Une soupe de lentilles épicées avec son lit de poids chiches. Un bienfait de Dieu qui, par parenthèses, est le même chez nos frères musulmans. Chacun de se délectait, passant outre les clichés de l'air du temps. حريرة, est aussi appelée « bufertuna » à Rabat. Pendant le ramadan, la harira est traditionnellement le plat de la rupture du jeûne. En cette période d'avant Noël, le choix était juste.

La touche de Saby en plus donnait à cette soupe un je ne sais quoi d'exquis. Attention à ne jamais confondre le je ne sais quoi avec le presque rien. Le je ne sais quoi, c'est beaucoup plus que le presque
rien. La seule réserve vint d'Hamilton. « J'ai du mal à cohabiter avec le piment » dit-il. Certes, de piment il n'y a point dans l'hareira. Hamilton faisait, en réalité, référence à l'axoa d'antan du vieux quatre, à cet attentat culinaire en bonne et due forme dont nos palais se souviennent encore.

En plat un tajine de poulet au citron. Avec son couscous de patates. Patates relevées de quelques touffes de persil disparates. Régis apportait ainsi, par l'intermédiaire des patates et des touffes de persil, ce zeste d'interculturalité qui est la marque des grands, c'est-à-dire des humbles : ceux qui ne répugnent pas au mélange et qui savent que les saveurs du monde résident dans ce frottement civilisatiońnel. Amen

Dudu se contenta du couscous de patates et de ses touffes de persil. Allez savoir pourquoi ! Le persil n'y est sans doute pas étranger. Ce n'est là qu'une conjecture.

Pour une raison que je ne m'explique pas, je posais une question à JeanPhi : « Qu'elle différence y-a-t-il entre un I paD et un EPHAD ? » Il me répondit fort à propos : « Dans quelques années, il n'y en aura aucune ». JeanPhi est un devin, il sait lire les projections irrémédiables de l'air du temps. Pioupiou, lui, plus prosaïque, regrettait l'absence de rosé. Jean-Phi l'informa de la production prochaine du rosé Saby. Bernachatte lui reprocha son manque d'imagination. Et tenta de le convaincre de le baptiser château La Touffe et d'ajouter cuvée prestige à l'étiquette. Avec pour slogan : de la Touffe pour tous et pour appellation : La Chatte contrôlée. Dudu opinait du chef en mastiquant son persil sous l'œil circonspect de Seb le Tarbais. Régis, près des vieux, entre Gilbert et Pépé, développait son lien à l'interculturalité. Gilbert buvait ses paroles et insista sur les bienfaits de mêler sa culture d'origine à celle du pays d'accueil. Pépé était un tantinet plus dubitatif tout en admettant que le rugby était, par essence, un mélange des genres. « Sans ce mélange où mon identité s'est épanouie, je ne serai pas celui que je suis » avoua-t-il. Régis buvait du petit lait et la Jacouille du Saby. Nous eûmes droit à une bouteille de Hauchat et à son coquelicot salémien. Du grand art ! Walid, il nous manque. Mais il est présent par la grâce d'un coquelicot sur une étiquette. Du grand art !


Le lancer d'assiettes commença sous de bons auspices et s'acheva dans le chaos. Ce n'était pas tant la faute de Régis que des récipiendaires. Le sol était jonché de débris. Un soupçon de mesure eut été de rigueur. Il faut que jeunesse se passe certes mais un tantinet de mesure s'impose. Nul doute que la sagesse viendra. Le fromage était parfait. Surtout le camembert. Quant au dessert, une galette sans couronnes. On attend les mages. Après le passage de la crèche. Encore quelques jours.

Les quatre jeunes membres fêtèrent leur nomination. On eut droit au champagne, à des flots de champagne, comme après une victoire. Le chaos perdurait. Un chaos liquide. Un tsunami de bulles éclatant comme autant de flocons sur la table, sur le sol carrelé.

La soirée s'étirait. Dehors, le crachin faisait encore des siennes. Et je rêvais à Raouché.

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