La pluie n'était pas de rigueur. Le ciel était pourtant gris de nuages. Pas l'ombre d'une averse ni d'une oie sauvage. Nous étions une quinzaine. JB était là. On a beau être à l'automne, quand JB est là, c'est déjà le printemps.
Les vieux se mirent ensemble. Le temps ne fait rien à l'affaire, et ils subirent les cannes de leurs rivaux. Dans de justes proportions. La technique aidant, ils démontrèrent (les vieux) que la part du calcul dans la grâce est une alternative heureuse. Seul Croucrou ronchonnait un peu, pestant contre les opprobres du temps.
Dans les vestiaires, Croucrou mâchonnait sa diatribe. Moi, je ne disais mots, rompu aux inégalités de l'existence. Croucrou est un rebelle, et c'est pour ça qu'on l'aime. Dudu maugréait aussi et citait de Gaulle : "La vieillesse, ce naufrage" puis se reprenait. Il n'aime guère la sanction de la clepsydre Dudu, alors, il s'imagine autre, jeune et avenant. Mais il sait les vicissitudes de ses artères. Maxime qui avait eu le bon goût de rajeunir les vieux se moquaient de ces calembredaines et se détendait sous l'eau rafraîchissante de la douche.
Au trou, Cary Grant confectionnait ce qu'il faut de mets pour contenter une assistance réduite. Fayou était là et Bernachot aussi. Plus yoga que jamais. Il tenta de convaincre Jeff et Maxime de s'y convertir sois l'œil amusé de Walid. En fait, ce qu'il aime, c'est le yoga string. Une pratique comme une autre au bout du compte. Une ascèse redoutable qui exige bien des rétentions et une abnégation sans failles. Pendant ce temps-là, le reste de la troupe avalait son lit de charcuterie et une salade tout en fraîcheur, mêlée en diable.
Le plaisir de la Terre se liait à celui de la Mer. C’est ainsi que Jean Pierre remplit nos chakras. L’accompagnement du cochon s’est fait avec des offrandes de l’océan. Une salade Marine composée de fruits de saison et de la Mer, le tout baignant dans une sauce nacrée. Du nacré au sacré, la différence se fait dans la consonne. L’entrée est réussie. L’ouverture est loin du demi. En revanche Bernachakrate épilogua sur ces cours du mardi soir. Il s’inspira de ces positions préférées pour nous dévoiler qu’avec une telle entrée en matière notre plexus solaire ne pouvait que s’ouvrir. Il est relié selon ses dires au pancréas. Il aurait de même une action sur le foie et la vésicule biliaire ainsi que sur le système digestif. Point maître du foyer médian. Dans un langage rugbystique il n’y a pas de traduction, sauf peut-être pour se rapprocher du pet !
Cary Grant méditait dans sa posture de maître yogi ! Quand le lotus s’ouvre, les certitudes s’envolent pour jouir dans la plénitude. Pourquoi se tordre pour alimenter son chakra médian ? Pourquoi se plier tous les Mardis alors que JP dans ses mets peut les nourrir ? Un principe de base pour les adeptes d’une conscience sublimée, les réponses à ces questions sont dans le corps. Le remplir pourrait suffire à cette mission. Piou Piou acquiesça et se resservit dans un pragmatisme libéré. Son troisième chakra, proche de son second nommé pour les érudits le hara ( rien à voir avec la vache qui rit…) est de taille. Cette réserve d’énergie bien titillée par cette entrée en matière s’apaisa dans son équilibre parfait.
Les hommes évoluent. Il nous tarde d’ailleurs d’en revoir certains sur le pré. L’ancien Bernachatte aurait cité Sun Tzu dans sa pratique d’un rugby guerrier « Si ton ennemi te semble colérique, cherche à l’irriter encore davantage. ». Le Bernachakrate du trou n’en est que plus sage « Notre corps est la barque qui nous portera jusqu’à l’autre rive de l’océan de la vie. Il faut en prendre soin ». Si Hamilton avait été là, il aurait prit une photo. Il n’y a pas de Nirvana sans bonnes lumières. Le Tcho, Pépé, et Jacquot prirent une nouvelle licence pour se tordre en yogi et compléter le pôle yoga des activités extra-rugbystiques castoriennes. Le ballon est un chakra aplati, et certains se débrouillent pour l’éviter et mieux léviter.
Cary Grant est au dessus de tout ça. L’heure n’est pas dans l’éveil spirituel mais dans le plaisir des copains. « Montre moi ton chakra, je te dirais si je te resserre ! ». Le Jean Pierre excelle dans l’art de la gonfle et taquine à ses heures des cochonnets blancs avec son bâton. Pour lui l’équilibre se fait toujours sur un gazon. Sans herbe il n’y a pas de sens. Pour le cuistot le yoga à table, c’est comme le coquelicot sur une bouteille de vin, c’est de l’abstrait un point c’est tout. Peut-être que le Nirvana est au paradis ce que le coquelicot est à Sabite. Sur cette question, Piou piou reprit du vin. L’homme sait arroser ses réponses.
L’homme de table proposa de la poitrine de porc farcie et ses légumes. Walid amateur de bon mots à l’autre extrême lâcha « c’était copieux et chakrament bon ! ». La table en écho lui renvoya l’appel du waaaalid. Jean phi en profita pour compter fleurette. Il cultive le coquelicot et la poudre d’escampette. La période ne se prête pas au coquelicot mais aux vendanges. En fromage, le Cary nous proposa du choix entre un camembert et un « Mont d’Or ». Parce que nous le valons bien !
Pour dessert du riz au lait. C'est un standard de Jean-Pierre, l'équivalent de My favorite things pour l'ultime d'un repas. Il y a du Coltrane dans Cary Grant, c'est entendu. Encore que Chet Baker lui aille mieux. Le Sabite ponctuait chacune de nous cuillerées. Benoit était en enfance et souriait. Le riz au lait est d'enfance. Jean-Pierre ne le sait que trop. C'est sa madeleine le riz au lait. Il aime partager ses réminiscences. D'ailleurs, à peine Walid eût-il mâchouiller sa première cuillerée qu'il se rappela un matin d'école à Beyrouth. Le ciel était bleu, le cohérence de Raouché scintillait. Il avait trébuché sur un obstacle. Lorsqu'il se releva, une dame brune lui souriait. Quid du riz au lait direz-vous au pays du taboulé ! Justement.
Une belote de comptoir se dressa. Ça papotait beaucoup. La soirée était douce et la menthe légère. Amélie commentait le monde et Peyo buvait ses paroles. Flo enveloppé de rose s’est mis au vert. Petit à petit le trou se vida. Le ciel, dehors, était toujours gris. Quelques gouttes de pluie. Jean-Pierre fit des claquettes et se prit pour Gene Kelly. On n'est pas serti dans un seul personnage. Jean-Pierre sait marier le meilleur d'Hollywood.