Par Réglisse et Le Barde
Un ciel gris de fin d'été. Pas de pluie. Du vent. Seize castors sur le pré. Ou peut-être dix-sept ; je ne sais plus. Dudu faisait son retour. Après son méticuleux et interminable échauffement, il se joignit à l'une des équipes, râla un peu, eut, comme d'ordinaire, le geste juste. Les cannes étaient équilibrées. Il y avait un peu plus de technique, à peine, du côté du Tarbais. Juste ce qu'il fallait pour faire la différence. Reconnaissons que son attelage avec Serge a de la gueule.
Les passes furent inégales, courtes lorsqu'elles devaient être longues, molles lorsqu'elles devaient être vives. Rien que de très banal sans JB. Jean-Phi serpentait le pré, Titi savait les bienfaits d'une course droite, Tom zigzaguait, Croucrou se la jouait Fidji à une main. Pascal, pieds nus, nourrissait des courses efficaces. Il a passé l'âge des exploits solitaires et a gagné en altruisme ce qu'il a perdu en vélocité. Preuve d'une sagesse assumée. Léo n'était toujours pas là ; la faute à une épaule en vrac. Sans Léo, il manque ce soupçon de bel canto qui fait du rugby un chant si particulier. Mais les absents, peu à peu, rechausseront les crampons. Sauf à vouloir suivre l'exemple de Pascal.
Au trou, le préside était de repas . Roland nous gratifiait de sa présence ; c'était sa fête. Un Roland heureux, plus lusophone que jamais. C'était aussi l'anniversaire de Yannick qui nous rejoignit sur le tard, nanti d'un fringant Bernachot. Le Libanais, la barbe fournie et grisonnante était également parmi nous. Comme Bernard (Palanquès). Nous fûmes une trentaine.
Le Préside nous la joua classique avec une salade d'endives et de noix. Toutes choses rétives au vin me susurre Croucrou. N'empêche, la salade était bienvenue ; il n'en resta que des miettes.
Les critiques étaient discrètes. Il n’est pas coutume au trou de critiquer le président de table. L’endive et ses noix, la présence des raisins secs limitaient l’intérêt de rajouter une pointe de vinaigre. Un raisin dans son jus c’est comme un pépin sous la pluie. Cela délie les langues et crée son palais. C’est comme la pointe de vaseline sur les oreilles de nos piliers, l’entrée n’en est que plus douce. Le président a une oreille sacrée et fit tintin de tous ces bruits de table. Walid retrouva ses habitudes et ses formules piquantes pour suppléer en vain ce manque de vinaigre. C’était une sacrée première ligne d’entrée de jeu. Nous étions heureux de retrouver notre minaret. Titi ne rata pas l’occasion pour remplacer pioupiou à la chansonnette. A sa décharge elle ne fut point monotone mais bien de saison. Titi a des origines noires américaines, le gospel est sa prière aux hommes. Il prit le La, Lolo n’étant pas là, pour lancer son Walid Day. Oh Walid day… Ensuite du yaourt en rythme et en chœur. Walid retrouvait ses paires. On est loin de Johnny Walliday mais bon la publicité est ainsi faite. Le Barde prit des notes, pour son abécédaire de collection, le W est une lettre difficile à combler sauf avec ses wagons mais bon, il découvrit qu’avec Walid, il ne manque pas d’associations.
Nous priâmes notre hôte pour la suite. Quand le prez préside il discute en laissant ses hommes chanter et rayer leurs assiettes vides. Le bruit de la troupe fait apparemment son bonheur. Mais bon il envoya la suite pour remplir ce vieil adage… « Plus il s’en fout, plus il y a du riz ». Le riz blanc attendait sa sauce et sa viande. Le riz seul ne peut satisfaire pépé qui se décarcasse à nous combler en pain. Le riz est le pain quand on mange à la baguette, c’est un diet niamien qui me l’a dit… « Avec le riz Boulain, plus de maux aux intestins ». Ce soir le prez nous soigne et Titi nous régale en heure sup ! Le barde alluma son portable et nota à la lettre T de Titi. «3/4 centre qui a su donner tout son poids au rugby moderne et toute sa légèreté à la publicité. 88 kilos de véritable bonheur ». Le Barde n’a plus de plumes mais bien le sens du doigt.
Le poulet suivit baignant dans sa sauce basquaise. Le mélange du blanc, du rouge du vert est un salut aux couleurs des castors… Le président n’est pas le prez pour rien. Même si perdigue ne rata pas une occasion pour pointer son olive. Tout est bon. Nous empilâmes les assiettes vides pour laisser place au spectacle du lancer des petites. Les hommes en chœur, le Lalalala et nous voilà partis dans le jeu de réception. Lancer parfait, zéro assiette aux compteurs des pleurs brisés et point Bonus car le jeu s’est fait en présence de notre Bernachatte bien motivé par l’anniversaire de notre homme de doigts à l’âge anisé.
Le fromage du camembert président. Un petit clin d’œil vaut mieux qu’un œil au beurre noir. Les portions coupées, les parts distribuées, le Sabite est toujours là pour accompagner tous ces mets. Le président préside jusqu’à la partie lactée.
Quelle épure dans le dessert. Un cake, rien qu'un cake, moelleux et ferme. Avec un sorbet au citron. C'était parfait. L'amiral en profita pour nous sortir une prune de derrière les fagots. Un clin d'œil aux tontons flingueurs. Il fallait voir la mine de ceux qui l'avaient absorbée. Et entendre leur long râle sitôt la première gorgée bue. Seul Yannick se sentit pour un coup sec puis un autre. Notre homme, en outre, est callipyge, en sorte qu'il offrit son postérieur au champagne pour célébrer ses cinquante et un ans.
Puis Perdigue se mit sur le tapis de cartes et ramassa la monnaie. La soirée se poursuivit un peu. Bernachot nous confia sa métamorphose depuis qu'il pratique le yoga. Il convint d'une certaine solitude lors de ses exercices car il n'est entouré que par la gent féminine. Il avoua que sa concentration en est perturbée et qu'il n'atteindra les sommets que lorsqu'il aura damné le pion à la tentation. Une expérience formatrice et fondatrice d'un nouvel homme. Et d'entonner ce vers de la Mémoire et la mer de Léo Férré : "Mes désirs dès lors ne sont plus qu'un chagrin de ma solitude."
Un ciel toujours plus noir attendait les derniers castors. La pluie restait parcimonieuse. Le vent redoublait. Et je songeais aux délicieux calligrammes d'Apollinaire. Quant au Tcho, il chantait La mémoire et la mer. La faute à Bernachot. Une douce faute, n'est-ce pas.
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