L'hiver, le merveilleux hiver est là. Froid, sec, avec ses sublimes lumières.
Même la nuit en garde trace ; le ciel est d'un éclat si particulier. En sorte que la simple pratique d'un toucher se doit d'aller l'amble avec ces nuits-là. Et ce fut le cas. Même sans Guitou et JB. Enfin presque. De toute manière, ils étaient là. Serge aussi qui étrennait notre nouveau pré et c'était bon de le retrouver. Hamilton, dont c'était également le retour, versa une petite larme en étreignant notre terre d'origine. Gwen aussi était des nôtres, plus fringant que jamais. Nous étions quinze. Puis, trop vite quatorze. La Piballe nous quitta par la faute d'une cuisse récalcitrante. Walid était sur son aile, Toto filait ses courses insaisissables. Jeff plagiait Dominique par ses passes à une main. Titi dominait son sujet, c'est-à-dire lui-même.
Quelques ballons s'échappèrent de nos bras, quelques passes s'échouèrent sur le pré. Le froid peut-être. N'importe, le rythme était vif. Et les essais pleuvaient. Croucrou était particulièrement en verve.
Dans les vestiaires aux murs écaillés qui fleuraient bon le rugby d'antan, nous laissâmes nos corps s'abandonner aux vertus d'une eau chaude s'échappant timidement d'une douche au filet assez chiche. Puis, destination le trou.
Qui dira les bontés de notre substitut, Jacques en Ithurbide avait pris la relève. Ceint de son tablier, un peu comme un élève, Il affirmait, sublime, le beau nom d'Escassut. Non, je n'emploierai pas son patronyme usuel. Notre Jacques mérite plus qu'une pauvre rime en ouille. Sauf à considérer qu'il naquit d'une citrouille. Celle que de bonnes fées transforment en ritournelle. J'arrête là mes rimes. Mais avouez que Jacques les mérite. Toujours présent, toujours disponible, toujours dans l'altérité. Un ange ! L’altérité pour notre cuistot s’entend dans l’haltèrité. Même dans l’adversité de l’imprévu, Jacques assure et n’offre que du lourd. La troupe en revanche sera légère. Nous serons peu en opposition pour faire honneur au cuistot. La constance perd de sa rigueur en cette saison. Elle est en vacance, elle aussi… La saison sur le sujet est frileuse.
Quoi de mieux qu’une bonne soupe de bonne mer pour réchauffer les castors présents. Les lois de la nature sont ainsi, l’hibernation s’associe à l’était. Ne rentrons pas dans une phénoménologie appliquée du rythme castorien. L’allégorie du trou n’a rien à envier à celle de la caverne, l’alternative est une constante de planque comme une autre. Le trou est fait pour le bonheur des castors. Il est toujours vivant, il a ses cycles, ses absents et ses présents. Ainsi va la vie ! Le trou se prête à l’ovale. Le noyau est là. Jacques aux commandes. Pépé en tour de contrôle. Les deux compères seront piliers autour de CrouCrou. La place du cuistot était vacante. Jacques est un saint et son solide la constance. Point de faille dans sa cuirasse, une sacrée coquille notre saint Jacques. Le tour de Bouffe nécessite ses gardiens pour perpétuer le lien. Jacques dans la famille Escassut est le père, il garde la porte d’un temple culinaire (en un seul mot) et veille à notre trou. Il garde toujours un œil dans ce qui rentre et ce qui sort des cuisines. L’homme est ainsi et l’amour aussi.
Tout est bon dans le cochon. Même si pour la soirée l’animal sera négligé. Point de tricandilles, de greniers en cave, ou de quoi se confondre pour un légionnaire. Le boudin ne sera pas dans la soupe. Pour la bouffe, l’homme nous materne et compose de raison dans la Mer. « La mer c’est le seigneur que misère ou bonheur Tout destin montre et nomme Le vent c’est le Seigneur, l’Astre c’est le Seigneur Le navire, c’est l’homme » L’homme du soir cuisine et propose en parfaite improvisation ses contemplations soufflées à Victor Hugo. Il est ainsi certains subliment dans l’écriture, d’autres dans les plaisirs de bouches. A tout réfléchir, les deux vont si bien ensemble. La soupe est de la Mer. L’Amiral pour sa part naviguera sur d’autres flots. La mer n’a pas de propriété et nous prêtera toujours au voyage. Les croutons sont de même de sortie sur la table. Le fromage râpé les accompagne et la rouille se propose pour combler les rimes en l’honneur de notre hôte. Bref, les hommes à défaut de porc trouvent bon port.
Les discussions se prêtent aux voyages. Gwen est là. Bernard sans madras est revenu de ses îles. Les hommes ripaillent. Le Sabite coule à flot. Les coefficients de la marée sont élevés, la lune joue son rôle, plusieurs aller-retour ne pourront assécher la soupe. Mais bon, l’entrée reste une entrée. Les hommes trouvent dans la Mer qu’un refuge éphémère. Le sacrifice de l’animal est nécessaire. Le Saint Jacques ne le sait que trop. Le poisson est prière, le bœuf est dans la crèche. L’homme craint le trop. L’animal est noble et les rôtis sont en nombre. La cuisson est pour ainsi dire parfaite. Pépé est un confrère pour le cuistot. Il ne pût retenir son âme de prêcheur pour respecter en salutation et béret bas, la découpe et la couleur de l’animal. La tendresse le charnu, les nuances rouges vifs à la brique de son gris, le goût est explosif. Ce n’est qu’un rôti de bœuf pas de quoi en faire tout un magret. Et bien si ! Notre saint Jacques reste un dieu pour la cuisson. Les trémulations des castors témoignent d’une cuisson parfaite. L’animal à queue plate s’exprime dans le plaisir en va-et-vient. Les castors se tapent les fesses sur leur chaise. Pépé vénère de même l’ail. Les haricots verts de compagnie s’attachent aux réjouissances. La mise aux verts ne peut lutter aux plaisirs offerts par le sacrifice de l’animal.
Les hommes sont ainsi, ils fonctionnent au trou sans tabou pour arriver aux bouts de l’animal. Jeff se proposa à la découpe… Il se prépare pour la semaine prochaine. Il apprivoise les lieux. Tout est question de relève. La lune a su protéger la soupe cependant épuisée elle sera impuissante pour sauvegarder une tranche de rôti. Les hommes respectent le divin et l’animal. Ainsi va le trou !
Pour le lancer d'assiettes, après quinze ans d'abstinence, c'est Pépé qui s'y colla. Le résultat fut assez mitigé. Comment lui en tenir rigueur. D'autant que d'aucuns prenaient un malin plaisir à avoir la main malhabile. Le fromage était unique. Il n'y en avait qu'un. Un coulommiers de bonne facture. Quant au dessert : une tropézienne. Notre Jacques a toujours eu la nostalgie de la Madrague et des Harley.
Et puis, il rendait hommage à Guitou et à ses fins d'été qui n'en finissent pas de nous suspendre aux amours passagères. Du grand art.
La traditionnelle belote de comptoir se dressa. Jeff décidément n'arrive pas à l'emporter. Mais il progresse. Walid eut la main moins heureuse. Gwen n'eut pas de mains du tout. Jacques domina son petit monde. Une juste récompense. Une nuit d'hiver de toute beauté nous attendait, parsemée d'étoiles.
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