"Moi j'aime le synthétique, ses castors, ses passes légères" chantonnait Léo en trottinant. Et de poursuivre : "Le pré qu'on voit chanter, à Musard au printemps." Il a l'âme buissonnière Léo, et s'il devance le printemps, c'est parce que les saisons n'épousent pas les états de l'âme. Ainsi peut-on être au printemps en hiver, à l'hiver en été, etc,. Ce matin, en se levant, il salua le ciel et sut que le vie serait belle. Le chant du merle peut-être, d'un carillon. Et la perspective d'un toucher, de cette relation épidermique à la gonfle, à l'autre, qui est d'une altérité sans pareille.
Par miracle, nous étions tous sur la même longueur d'onde. Et le toucher fut un chant. D'autant qu'Amelie avait renouvelé sa présence. Et que Cary Grant étrennait, pour la première fois notre nouveau tapis. Le cuir chante, fut-il synthétique. Le cuir est un merle aux modulations infinies. Un merle moqueur parfois. Seuls les sots jugeront futiles ce jeu qui détournent l'ordinaire et offre un peu d'art au temps qui passe.
Nous fûmes plus sages que la semaine dernière. Disons qu'en bon nietzschéen nous pratiquâmes l'art de la nuance qui nous épargne d'être arbitraire. L'arbitrage fut tournant, de moi-m'aime à Hamilton en passant par Léo. Une expérience voulue par notre saint bureau qui avait décidé derechef l'interdiction de l'en-avant volontaire, cette peste du toucher, cette dérogation à l'esprit du jeu.
Don avait du Jean-Phi dans les jambes et Jean-Phi du Don. Ils serpentaient. La partie fut équilibrée bien qu'elle connut quelques déséquilibres. L'humeur était guillerette et de fines gouttes de pluie taquinaient nos museaux. Cary Grant rayonnait. Regis filait droit, Jeff itou. Il ne manquait que JB pour que ce toucher fut une action de grâce. Quelques genoux s'élimèrent sur le synthétique. La douceur de Victor Louis est lointaine. Mais qui dira les charmes de Musard et de ses vestiges, de cette histoire de damiers, de peupliers.
Au trou Yann (Larroumecq, pas Detrieux) avait enfilé le bleu de chauffe. Un deuxième mardi avec lui est une chance. Le trou sans Yann avait perdu de son charme. Par contre, pas de Pépé, retenu à Lyon par des histoires de famille. Alain Charles nous parla Dada, sa dernière marotte et l'Amiral de la Lusitanie. Que du beau monde.
L’entrée débuta en salade. Les hommes sont prêt à réceptionner la mise au vert. Il reste de la place au fond. La saison se prête volontiers à la fonte. Que cela ne tienne les absents ont toujours tort et les présents font toujours corps. Pépé bouchonne et cherche Gergovie. Le bouclier Arvernes est cette semaine devenu son Saint Graal. Le Tcho est à l’office, Jacquot à la supervision. L’équipe entoure le cuistot. Sous la salade, une composition faite pour dissimuler toute trace animale. La chair est faible et se dissimule derrière tout pignon. La cache est fragile pour atteindre au bout de la table. Le castor est carnassier et bienheureux quand il tombe sur la fève. C’est ainsi ! La verdure reste un art du pré. Les tranches de canards confits seront à l’honneur pour les veinards.
La Messe s’annonce riche. Yann est de retour, il officine à la rigueur qui le caractérise. Les gros sont mis à contribution pour ce début d’année qui n’en est plus un. Mars est déjà là et bien avancé. L’organisateur des tours de Bouffe en Grant homme qu’il est a dispersé ses trois quarts pour une autre saison. Le repas du soir est fait pour combler les sportifs au fond du trou. Après l’effort, le riz est un reconstituant de fond. Le riz bien cuit et non celui qui fait juste trempette pour croustiller sous la dent. Nous parlons du riz qui aime l’eau, s’engorge, se gonfle et ne lâche pas la cuillère. Un riz de combattant. Il joue groupé et soudé. Il en faut de l’huile de coude pour désagréger la structure. Un riz fait par et pour les gros. Il éveille en certain des souvenirs et des jeux d’enfance. La madeleine de Proust n’a rien inventé. Le riz de Yann en revanche nous redécouvre à chaque bouchée. Il en dit gros. Yann a la connaissance d’un avant. Il sait que le riz qui accroche est une métaphore culinaire à des défenses d’acier. Le riz qui colle est une base. L’envoi de la sauce en est l’extase. Pour se faire des tirants d’aile et de cuisses volaillères feront religion. La sauce est magique. Elle vise le palais des dieux. Son nom est tiré des Moines. La nature de l’homme est fragile, elle ne résiste à la tentation. Le pardon de chacun se fera avec une certaine réserve dans la resserve. Un poulet des Moines est un hommage aux seins que nous chérissons. Il est une offrande à la régression. La cuisson, la couleur, les épices, et la sauce qui délie le fameux riz sont des manifestes pour rassasier une nostalgie collective. L’enfant qui sommeille en nous n’a qu’à bien se tenir lui aussi. Ses cages s’envolent en grattage et en partage. En même temps le poulet de Yann éveille des états sublimes dont toute régression se fera monnaie du plaisir en déguste. La douceur est dans le fait maison. Point d’azote, point de gélatine, point d’artifice dans la cuisine qui hume le foyer et alimente le bonheur du plus gros au moins gros. Piou Piou se fait mince pour profiter un peu plus du moment. Sa passion de l’âme se lie un instant dans le poulet des Moines. L’enfant est un tout puissant qui s’ignore…
C'est derrière le comptoir que Yann s'exerça au lancer d'assiettes. Il fit mouche, à l'exception de Léo. Un peu de casse mais pas de blessés. Pioupiou entonna, hélas, sa chanson monotone. Complétée par quelques couplets à la poésie grivoise que Jeff semblait apprécier. Don un peu moins. Alors, il songea à la mer.
Le fromage était abondant et probe. Nous étions un peu las du palais. Mais nous ne rechignâmes pas. Du bout des doigts pour certains. Cary Grant louait les vertus de l'UBB et une conversation rapide se noua sur les élections à la FFR. Pour Amélie, comme le vent, Camou l'emportera. Advienne que pourra pour Bernie. On moqua un peu les impétrants. Puis les échanges revinrent sur le sel du rugby, l'évidence du talent d'Ashley Cooper, le jeu retrouvé de Pierre Bernard.
Une glace au café en dessert avec sa tarte tatin. Un mariage heureux. Regis, dorénavant, est le roi du petit noir. Il y a du What Else chez notre Bardibule. Un passage générationnel en douceur. L'assemblée était paisible. Et pas assez nombreuse. Il faut recouvrer les nécessités du trou. Notre communauté doit se ressourcer en son antre.
Une belote de comptoir fournie se dressa. Peu à peu, nous quittâmes notre nid. Comme des oiseaux aux ventres replets. La nuit était chafouine. Et peu importe. Léo pensait à la Callas et à Médée. La faute à PPP. Mais qui pour lui en vouloir. Mardi prochain, c'est lui qui s'y colle. A bon entendeur salut.
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