Par Le Barde, Bardibulle et Bardatruc
Toujours cette douceur, cette manière qu'a le printemps de frapper aux portes de l'hiver. Un chuchotement. Le terrain était ceint de barrières métalliques. Musard est en travaux. Les rangs étaient dégarnis ; nous étions une douzaine. Un léger crachin s'invita à la partie.
Alban nous avait rejoint et Serge retrouvait le pré après ses apprêts culinaires. Perdigue était parmi nous, plus Haddock que jamais. Ce fut une partie de feu. Et j'étais du bon côté. Face aux miens, l'équipe de Jeff, Serge, Haddock et compagnie. C'est peu dire qu'elle subit un affront. La faute à la Pibale ! Royale. Quel festival. Il récita un rugby d'école, juste, élégant. Avec quatre essais de grande classe au comptoir. L'ombre de JB planait sur l'équipe de la Piballe, une ombre bienfaisante dispensant ses grâces efficaces. Jeff avait beau ahaner, alpaguer les siens, rien n'y fit. Et la Piballe avait des airs de Bonaparte ; le pré était son Arcole.
Le Bardatruc n'en pouvait plus devant tant de magnificence ; ses courses connurent un holà inhabituel. Il ne savait plus où donner du cuir. Haddock y allait de ses Sapristi, Bachi Bouzouk, et se retrouvait souvent les quatre fers en l'air. Souverain, la Piballe entraînait ses soldats de l'An II vers la terre promise. Alban l'éprouvant par deux fois, Peyo par trois. Une avalanche d'essais, lors que la bande à Haddock ruminait son désespoir.
Dieu que c'était beau. Comme un film d'Eisenstein. Un soir de gala. La mine dépitée, abattue, la bande à Haddock rentra au paddock. Une douche bienfaitrice lui mit de baume au cœur. Il y a des soirs comme ça.
Quel entraînement mes amis,
Assurément, il y a ceux qui y étaient et ceux qui n'y étaient pas. Si en 2017, tu avais prévu d'approcher LE rugby, c'était le moment ou jamais. Une opportunité comme celle-là, certains ne l'ont jamais rencontré et ne la rencontrerons jamais. C'est bien simple, on se serait cru dans un match de super 12. Tout le monde y est allé de sa feinte de passe, de sa chistera, de sa passe à hauteur, de son plongeon salvateur. Dans le rouge au bout de 15 minutes, personne ne lâcha. Une équipe brilla relativement plus que l'autre malgré son infériorité numérique. Et n'en déplaise à notre Barde qui semble avoir rédigé avec le logiciel "j'écris comme je rêve", ce ne fut pas son équipe qui scintilla le plus.
Alors oui bien sûr, il y eut quelques petits écarts comportementaux. Alban, dans un jour taquin, n'hésita pas à accuser Perdigue d'un touché totalement imaginaire tel un article du Canard Enchainé accusant un homme politique en course pour les présidentielles de verser un revenu universelle sans condition à sa compagne alors même que cette dernière fait le ménage, habille ses enfants de jolies chemises Vichy et occasionnellement fume le cigare à moustache ! Cet homme est en avance sur son temps tout simplement...D'un autre côté avec ce nom, mieux vaut en avoir...
Bref, outré de ce traitement, l'humilié humilia ! Et l'opération ne se fit pas attendre longtemps puisque le ballon suivant notre habile Barbu déposa l'indélicat d'un cadrage, feinte de passe de l'espace. Notre Barde, dans une soirée sans et probablement faisant suite à une journée avec...emmerdes, reprocha vertement à ce même Perdigue de commenter le score d'une manière trop printanière à son goût. Mais tout ceci ne fut qu'une goutte d'eau au milieu d'un torrent tumultueux d'attaques brillantes et de défenses pleines d'intelligences et de communications. Quel régal !
A ce rythme, l'entrainement s'arrêta à 21h24 et sur un choc dont la victime fut la cheville de Serge. Rassurez-vous, le bonhomme gambadait le lendemain dans les allées de Métro avec les olives tant demandées par Jacouille.
Au trou, nous attendait Pascal, le cuistot pas le philosophe.
Une piémontaise maison agrémentée de germe de blé mais je n'en suis plus très sûr. Notre cuistot, plein d'éducation et d'amour pour les castors s'imposa de nous servir à l'assiette un mixe patatophile inédit : Tartiflette / Hachis Parmentier de canard. Peyo était aux anges...
Perdigue, incontestablement, homme du match, partageât sa joie en nous offrant un Haut Carles de haute volée. Toutes ces bonnes choses glissèrent avec aisance et plaisir dans les gosiers finalement rassasiés.
Le lancer de Pascal fut minutieux. À l'exception notoire de ce geste imprévisible qui vit l'obole se fracasser contre une poutre en ciment et essaimer ses éclats sur la table en désordre. Un coup de folie. Il est ainsi Pascal, "la vie ordinaire le blesse" comme l'écrivait son lointain aïeul Blaise en sorte qu'il l'augmente d'un peu de déraison. La chanson du bon fromage s'éleva. JB fila un air des Platters en hommage au Cabicou :
"Cabicou,
Can make all this world seem right
Cabicou
Can make the darkness bright
Cabicou you and you alone
Can thrill me like you do
And fill my heart with love"
Ce serait injuste de ne pas faire sa part au saint-Nectaire. JB n'entendait pas y glisser une rengaine. Seul le cabicou l'inspirait. Pioupiou, peut-être, aurait pu apporter sa petite touche. Mais Pioupiou, il n'était pas là.
Le Haut-Carles ajoutait ses charmes aux offrandes crémières. Avec sa dominante merlot, sa pincée de cabernet franc et son doigt de Malbec.
Comme mardi dernier, la tarte aux pommes fut consacrée. Quand on est pomme on est tarte souffla Alban. Perdigue y alla de son Nougaro :
"Un jour. Un jour c'est sûr,
Reviendra le jour pur,
L'immense jour d'avant le temps,
Alors la femme et l'homme
Retrouverons la pomme
Sans la morsure dedans."
Quant à Jacouille, il rendit hommage à Maurice Chevalier, et se tournant vers Pascal, il lui minauda : "Ma pomme, c'est toi."
Il ne manquait plus qu'une belote de comptoir pour clore nos agapes. Bien sûr la Piballe l'emporta, dans le prolongement du pré. Tapis de cartes ou pré, c'est tout comme pour lui. Jeff fit contre mauvaise fortune par cœur ; il ne parvient décidément pas à vaincre le signe indien.
La nuit était pluvieuse. Une pluie parcimonieuse. Perdigue manqua de glisser sur le trottoir mouillé. Puis, il fit des claquettes. Comme de bien entendu.La