17 mai 2018

Le cuistot de bouffe : Le coq Guitou et sa cour

Par Le Barde et Bardatruc


Le printemps taquine l’été. Il y a encore un zeste, une pincée de fraîcheur. Le ciel était bleu, parsemé ça et là de nuages. Nous étions une vingtaine.


D’abord sur une moitié de terrain, puis sur toute sa longueur. L’équipe la plus âgée joua de sa maturité pour prendre le dessus sur celle qui possédait le plus de cannes. Le rugby ne se réduit pas à la seule dimension physique. La passe compense la course. Son bon tempo est une redoutable arme offensive.
Nous eûmes la joie de compter Pascal Roumegou parmi nous. Pieds nus comme aux plus beaux jours. Hervé Delage avait suivi sa tendre Piballe. Pas de Tarbais, mais Sergio. Perdigue nous rejoignit sur le tard. Comme d’ordinaire. La vigne est exigeante.
Notre Bardatruc, las des coups de pieds de renvoi trop longs eut un petit instant de folie. Il saisit la balle et courut pour la replacer au centre du terrain sous l’œil circonspect de Dudu. Puis, il retrouva la sérénité. Un coup de sang par le geste, ça a quand même de la gueule. Perdigue, lui, occupé par sa course, comme il filait à l’essai le long de la ligne de touche, laissa choir le ballon alors qu’il n’était plus qu’à quelques encablures de la terre promise. Il ne s’en remit pas et traîna sa mélancolie sur le pré comme une âme en peine. Don le prit en pitié, lui offrit des espaces ; il n’en voulut point.

Au trou, Guitou régalait. Avec son raffinement coutumier, il avait disposé sur toute l’étendue de la table, une gamme de légumes de saison dont les couleurs se mariaient avec grâce. Pour la décalque, de l’aillet et du céleri cru, pour la couleur des tomates cerises et des carottes, pour le croquant du chou-fleur. Une véritable provocation pour les veganophobes et autres carnistes. Non conformiste mais soucieux de cette addiction du rugbyman à la charcuterie, il avait tout de même prévu quelques terrines de pâté en quantité très confortable.

Puis arriva le coq au vin accompagné de pommes de terre digne de la cantine Air-Inter de la belle époque ! Celle des hôtesses de l’air triées sur le volet, souriantes voire séductrices puisque confiantes en la bonne éducation des passagers. Celle du plaisir de fumer un gros cigare à bord et manger dans des assiettes en porcelaine de limoges. Celle où il était possible d’émerveiller les enfants en les faisant entrer dans la cabine de pilotage. Tout cela, c’était un peu grâce à Guitou lorsque vous faisiez escale à Bordeaux. En effet, reconnaissons-le, à cette époque on ne venait pas à Bordeaux pour le tourisme. La ville était moche et sale. Rien à voir avec cette beauté insolente faisant passer Paris pour un cloaque surpeuplé recouvert d’un nuage de pollution et imposant aux Bordelais d’accueillir ces naufragés pétés de tunes mais assoiffés de qualité de vie. Oui, Bordeaux est devenue la plus belle ville de France, c’est un fait intangible.

Guitou est élégant. Lorsqu’il sacrifie au rite de l’assiette, son port est digne. Et il exécute ses devoirs avec une nonchalance feinte, efficace. Il y eut peu de déchets. Tout le monde n’était pas au diapason.

Le fromage en quantité fut apprécié et les desserts hétéroclites finirent de remplir les ventres repus.

Une vaste belote de comptoir se dressa. Le Prez entama les hostilités par un cabanon, sorte de baraque non tentée alors qu’il y avait une super-baraque à gagner ! Et sortit en tête avec Titi. Perdigue perdit l’ultime duel avec le bardibule. Toujours à sa nostalgie.

La nuit officiait depuis quelques heures comme nous sortions du trou. La ville était calme. Hamilton et le Bardatruc enfourchèrent leur cycle. Don pensait à ses hémistiches. Guitou était déjà dans les bras de Morphée. Le bruit du temps était loin, si loin ; la vraie vie est au trou et sur le pré.

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