Il nous rejoignit dans les vestiaires. A peine était-il assis qu’il parla de ce drôle de virus qui empoisonne la Chine. Pourquoi ? Lentement Amélie s’habilla, car c’est de lui qu’il s’agit, de son retour sur le pré. Peut-être avait-il envie de faire un break au cœur de sa campagne. Pioupiou parlait de la fête de la morue, du courrier qu’il devait écrire pour délivrer notre chant d’amour à ce poisson de l’ordre des Gadiformes. Amélie, en bon béglais, lui prodigua de précieux conseils. Nous nous revêtions de nos habits de lumière. Le bardibule couvrit son chef de son petit bonnet orange.
Nous étions dix-sept sur la pelouse synthétique. Alban avait amené deux jeunes pousses de qualité. Pioupiou nous délivra une prestation haut de gamme. Épuisé, il ne termina pas la partie. Popeye brillait. Seb filait ses intervalles. Titi, dans une tonalité très rouge, assurait l’essentiel avec efficace. Nous râlions peu. Le rythme était vif. Une bonne partie de toucher. Les ailes étaient à l’honneur, comme au bon vieux temps, comme si le rugby n’était qu’une longue suite heureuse.
La lumière des projecteurs se ballade sans crier gare. La constance aime le mouvement comme le Barde chante le beau jeu. Qui a dit que les gros ne savaient pas faire de sautée… Le jeu est un sujet pour le moi. Point d’égo dans l’altruisme inné. Yann à défaut d’éclairage en gare sera pour le soir en lumière. Les « humbles et les autres » une œuvre qui se savoure à Lelouch… Quand le sens du solide rime avec le sens du jeu quel bonheur. L’oxymore rugbystique est de mise pour sa dévisse « O pack éclair ! ». Le cheminot pour ne pas le nommer est toujours à l’heure. L’exception confirme la règle. Le négatif d’une déformation professionnelle en mal de retraite qui s’offre à nous. Le refuge n’est pas dans le statique mais bien dans le transport en mouvement. L’énergie qui ne bouge pas est explosive. Niveau premier dan de physique appliquée (cf notre Prof en mal de pré et présent dans notre trou pour argumenter l’analyse). Ses courses le décalent de son train-train quotidien et promettent les intervalles à ses partenaires. Pour la décalque c’est pareil. Gare à la locomotive qui sommeille en lui. Un « Yann peut un cacher un autre », malheur en face et conseil pour le pénitent bouffeur de beuchigue: « Oubliez le retour intérieur ! ». Con se le dise !
Un paradoxe moderne où l’horloge sociale ne répond plus aux exigences individuelles. Le rapport est inversé… gare à la transmission. Yann est un métronome à sa manière. (Le trainnome ferait concurrence) Dans la symphonie du jeu, son tempo comme sa parole, sont justes et s’apprécient en bons connaisseurs. Le travail de l’ombre mérite d’être en lumière.
Alexandre le dacquois était de bouffe. Sa première. Il ne paraissait pas le moins du monde inquiet. Le trou était consistant ; nous étions presque trente et pas tout à fait vingt-cinq. Pépé était enfin là. Allégé. Son séjour dans les îles lui a fait perdre quelques kilos. C’était bon de le revoir. Il sonna le rappel. Nous nous mîmes à table.
L’hiver est un temps de soupe. Le potimarron est de saison. Du jambon grillé lui apportait un œuf de vigueur.
Le Dacquois se veut Bourguignon. Pas de colverts à l’horizon mais du bœuf en sacrifice. Le trou se branle des frontières tant que cela reste bon enfant. La régression est de mise dans les plats qui se mijotent. Les joues de notre Jacquouille rougissent. Il y a toujours un petit chérubin sous son béret. Du bon pain de Pépé pour saucer et nous voilà restaurer. Le riz accompagnera la bête.
Alexandre à la main sûre et précise. C’est avec beaucoup de douceur qu’il nous adressa les assiettes promises au fromage et dessert. Seul le Bardibule laissa choir l’obole. Comme pour exprimer cette phrase d’Yves Bonnefoy : « L’imperfection est la cime ». Ce geste d’apparence coupable n’était, en réalité, qu’altérité.
Le fromage en camembert pour une excursion lactée et un retour à la fontaine d’eaux chaudes avec du pastis landais. Joël aurait sorti sa trompette pour moins que ça et aurait chanté la dacquoise à l’œil au beurre noir. On nait rugby ou on ne l’est pas.
La belote de comptoir vit le triomphe d’Hamilton. Il y a du Popée en lui. Une super baraque, et tout était joué. Le vieux quatre n’en menait pas large. Il s’épargna une cinglante dernière place contre Christophe. La Jacouille eut une main inégale. Il n’avait pas vraiment la tête à la belote.
La nuit nous cueillit au sortir du trou. Un mince croissant de lune se nichait dans un ciel parsemé d’étoiles. Une tendre ponctuation. Hamilton y alla de son petit Trénet, Le soleil a rendez-vous avec la lune. Pépé, lui, était à ses mers du sud.