23 novembre 2012

Le cuistot de la semaine, rougaillard !


Par Le Barde



Ce n'était pas un temps déraisonnable, on ne prenait pas les loups pour des chiens. Non, c'était un soir de novembre où l'automne joue à cache-cache avec l'hiver. Un temps pour taquiner la gonfle, pour musarder sur le pré. La trentaine de castors qui avaient décidé de déjouer les affres de la vie ordinaire  s'en donnèrent à cœur joie. Et les quelques ballons tombés ne pesèrent pas lourds face à la beauté de tant de gestes. Il est vrai que JB était là. Il y a du Mozart dans JB ; c'est comme ça ; on y peut rien ; il y a une fatalité de la grâce même en rugby. Le jansénisme se niche partout. Côté Mozart, c'était merveille que d'écouter la Piballe chantait l'agnus dei de la Messe en ut dès que les siens avaient franchi la terre que l’on dit promise. Messe en ut, messe en rut rouspétait Perdigue, et pourquoi  pas la pute enchantée tant que tu y es mon barde. 

Au trou, la soupe au potiron de Croucrou ouvrit le bal, douce, onctueuse, ronde. Une soupe ronde, je sais, ça ne veut rien dire mais je m’en branle. Avant que de déposer la soupe dans nos assiettes, Croucrou rappela l’identité du potiron. Il prit une pose professorale, demanda à Amélie de se tenir à carreaux et, appuyant chaque mot d’un ton docte et sentencieux, il débita ses litanies maraichères. « Mes castors, le potiron ou Cucurbita maxima est une plante de la famille des Cucurbitacées originaire du sud de l'Amérique du Sud et plus précisément de l’Argentine, de l’Uruguay, de la Bolivie ou du Chili. Cette  courge a été introduite, comme toutes les courges,  en Europe et en Chine, par les Portugais au XVI siècle ». (Jérôme éprouva à ses mots une émotion considérable et essuya quelques larmes). Pépé s’en prit à la cucurbite maxima de Croucrou qu’il jugea factice. Dédaigneux, Croucrou poursuivit sa mélopée. « On confond souvent les courges avec les gourdes (Lagenaria) ». Il ne put s’empêcher de lancer alors un regard dédaigneux vers Pioupiou. Puis, il reprit le fil de ses pensées cucurbitaciennes. « C'est à Charles Naudin que l'on doit, en 1860, la distinction entre les différentes espèces de Cucurbita maxima. Attention précisa-t-il : il ne faut pas confondre les potirons et les citrouilles. La citrouille est de forme ronde et de couleur orange. Son pédoncule est dur et fibreux, avec cinq côtés anguleux, sans renflements à son point d'attache. Sa chair est filandreuse. Le potiron est plus ou moins aplati, sa couleur va d'un orange rougeâtre au vert foncé. Son pédoncule est tendre et spongieux, cylindrique et évasé près du fruit. La chair du potiron est plus sucrée, savoureuse et moins filandreuse que celle de la citrouille ». Et de conclure : « tout, oui tout me prédisposait au potiron ». « Tu nous les gonfle avec ton pédoncule, est-ce que j’ai une gueule de pédoncule moi ? » asséna Pépé. « Oui, répliqua le Tcho, et ta gueule de pédoncule, je me la coltine depuis mes premiers jours ». 

Après la soupe au potiron, le grenier médocain et du pâté. Vint l’essentiel et l’essentiel, c’est le Rougail saucisse. Là, Croucrou fut plus synthétique. « Le rougail saucisse est un plat réunionnais, à base de saucisses créole coupées en morceaux, accompagné de riz et de rougail (tomates coupées en petits dés, petits morceaux de mangue verte, gingembre pilé, oignons émincés et piments) ». Il récita la préparation du Rougail saucisse comme s’il déclamait du Racine : 
Dans une cocotte faites dorez les oignons avec l'huile et ajoutez les saucisses coupés en morceaux.
Puis ajoutez l’ail et le gingembre, les tomates. Mélangez bien.
Ajoutez le thym et le curcuma, plus le piment et un petit peu d'eau.
Couvrez et laissez cuire à feu doux pendant 1/2 heure environ.
La sauce devra être très rouge et épaisse, ce qui indiquera la fin de la cuisson.
Accompagnez avec du riz.
Nous étions très nombreux au trou hier. Mais Croucrou avait anticipé. Il sait son charisme. En sorte que nul ne fut lésé. Il resta de la Rougail saucisse. Croucrou, il est généreux. Et c’est d’ailleurs à ça qu’on le reconnaît. Kiki déposa sur le bout de son doigt une sauce au piment vert et offrit une bouche curieuse à l’épice redoutée. Il fit comme si de rien n’était. Reste que sa gueule devint plus écarlate qu’à l’accoutumée. Alain-Charles s’inquiéta de sa métamorphose. Kiki resta de marbre. D’un marbre rouge vif. 
Puis ce fut l’Apocalypse, l’Apocalypse crouseillenne. Car Croucrou « entendait soutenir l’espérance des persécutés, ranimer la vigilance des tièdes et solliciter la conversion des égarés ». En hommage au regretté Coutenuit, inventeur du rite de l’assiette,  un orage s’abattit sur le trou. « Et ce furent des tonnerres, des voix, des éclairs et un tremblement de terre. » Titi qui s’était rapproché de moi-m’aime vit les goulots des bouteilles de Jean-Phi décapités un à un à mesure que l’obole, pareille à un disque lancé par un athlète sparte, se rapprochait de ses mains. Il ne parvint pas à la saisir et son corps fut constellé de vinasse. Alléluia, alléluia cria-t-il. « Et sa voix était comme la voix des océans ». Pépé, le regard tourné vers le ciel, eut une pensée émue pour celui qui fut des nôtres et qui le restera. 
Le dessert apaisa nos corps éprouvés. Assis à côté de Croucrou pour une raison que j’ignore, Jean-Phi était aux anges. Lolo le moqua ; il n’en avait cure. Chacun d’apaiser son palais meurtri par la chair suave d’un entremet enfantin. « Ah ! les doux entremets des délices enfantins » dit Perdigue dans une indifférence générale. Dépité, il murmura : « La chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres ». « Et mes burnes, avec la gueule que t’as, tu ne vas pas nous la jouer conquistador des bibliothèques » lui dit Pioupiou. « Tant que t’y es, t’as qu’à te prendre pour Borges. Que ta chair soit triste, ça saute aux yeux, mais que tu aies lu tous les livres, à d’autres. » Perdigue rendit les armes, comme un enfant livré à la vérité de sa faute. 
La nuit accueillit des castors repus. Comme je rentrais dans mes foyers avec Eric (Léonard) et que nous croisions Hamilton, il avoua son admiration pour sa ligne sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise. Et d’ajouter que le temps est une teigne sauf pour de rares élus. Nous reprîmes en cœur quelques chansons du grand Jacques avant de rejoindre nos pénates. Gémir n’est pas de mise aux archis.

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