16 avril 2013

Le cuistot de la semaine, Achille Tartiflâ


Par Le Barde



Combien étiez-vous à Musard mardi ? Combien à éffleurer de vos mains avides et offertes l'objet de nos archaïques convoitises ? Je l'ignore, et qu'importe, je vous imagine, vous devine, je chante l'Iliade de Musard, « l'art des travaux impeccables ».(Iliade, XIX, 215-254) Et je te vois Perdigue, oui, je te vois, toi mon Achille,  t'exclamant : « Avec mes bras, mes pieds et toute ma vigueur, je ne mollirai pas, même un peu, j'en réponds, mais je traverserai leurs rangs d'un bout à l'autre. » (Iliade, XX, 366-397). Je sais tes franchissements, ô toi mon Péléide, mon « inlassable coureur », toi qui, « comme un chien dans les monts suit le faon d'une biche. » (Iliade, XXII,174-207). Et je songe à JB, à Titi, à Walid, vous qui allez « pareils aux vents farouches de l'orage. » (Iliade, XIII, 765-800).

Ah ! Que n'étais-je parmi vous. Mais en bon barde, j'écoutais l'un des miens, Murat l'auvergnat. Au trou, le leptocéphale accomplissait son devoir. Ma Pibale, sais-tu que ton nom puise dans le poitevin ses origines ? Que tu nais de pibole qui veut dire chalumeau, pipeau ? Et qu'il faut déployer des trésors d'inspiration pour lier un pipeau à une civelle issue du radical du latin caecus qui signifie aveugle !

Comme je regrette de n'avoir pu me repaître de tes bienfaits. Ils furent si abondants dit-on. Toi le rescapé du pré, le claudiquant magnifique, tu es prodigue de toutes choses. Il y eut une salade. Il y eut de la tartiflette. Le nom tartiflette dérive du nom de la pomme de terre en patois savoyard, tartiflâ, terme qu'on trouve aussi en provençal tartifle. La tartiflette est un gratin de pommes de terre, de lardons, d'oignons sur lequel on fait fondre le fromage originaire de Haute-Savoie, le reblochon. Cette recette s'inspire d'un plat traditionnel appelé « la péla » : un gratin de pommes de terre, oignons et fromage fait dans une poêle à manche très long appelée péla (pelle) en arpitan.

Je vois Pépé tendant délicatement son museau  vers le plat capitonné de gratin et, redressant sa tête, se préparer avec envie à une imminente déglutition sous l'oeil circonspect mais envieux du Tcho et du bon docteur.
Le trou se gava. Le parfum de reblochon mêlé aux senteurs des vins de Jean-Phi donnait à chacun l'illusion d'appartenir à un monde dont le parfum est le paraphe. « Il y a une herméneutique du parfum que je t'engage à approfondir » m'a confié un jour Jean-Christophe. Et de citer Michel Foucault : « Appelons herméneutique l'ensemble des connaissances. Qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens. » Tout parfum, toute odeur est un signe, une trace dont le sens ne doit pas nous échapper, ils nous ramènent à des pans de nos vies dont, souvent, nous ne parvenons pas à nous extraire. O la réminiscence des éffluves qui nous attachent au monde. Je t'entends mon Pioupiou, et toi aussi mon Perdigue, me dire : « Mon barde, tu me les gonfles. » Ce qui, soit dit en passant, peut être pris comme un compliment.

Et la Pibale s'exerça au lancer d'écuelles. Je ne suis pas doué du don d'ubiquité, mais comment imaginer un instant qu'il eût pu faillir à sa tache. La Pibale est béni(e) des dieux, son adresse est une preuve d'art. Tout ce qu'il tient en main se transforme en action de grâce. Sa seule fragilité, c'est le talon ; on ne peut pas tout avoir. Il commit en dessert une salade de fruits accompagnée d'une sorte de kouglof. Pas de fromages. La tartiflette et son reblochon suffisaient. Sans doute y-eut-il du dépit, mais notre civelle n'en eut cure. Au diable les grincheux, les chantonneurs du bon fromage au lait qui est du pays de celui qui le fait. On soulignera, par parenthèses, l'excès identitaire de ce refrain familier.

What Else était-il là pour le café ? Avez-vous chanté sa 4RL à défaut de planter des choux ? Je l'ignore. Mais comment imaginer un mardi sans What Else, un mardi sans les vieux ?

Je laisse au vieil Homère le soin de conclure. « Les libations faites, chacun rentre chez soi. Ils se couchent enfin et reçoivent bientôt le présent du sommeil. » (Iliade, IX, 694-713)

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