13 juin 2015

Le Cuistot de la semaine, Le Bon, La Truffe et D'Artagnan

Par Le Barde et Réglisse


Le temps était lourd, la pelouse sèche. Une douzaine de joueurs tout au plus. La troupe se raréfie. Cela sent la fin de saison. Pourtant, le plaisir se moque de l'été, de l'automne ou du printemps. Et n'a jamais renié l'hiver. C'est un brin tristounet. Sauf pour ceux qui sont de pré. Car la partie fut belle. Bien sûr, les passes manquent encore de certitude, et l'on oublie que l'art du décalage est la quintessence de ce jeu. (En quoi, le rugby ne saurait être un jeu comme les autres). Une banale affaire d'apprentissage en somme. Donatien, que son art poétique promenait du côté de la place du Parlement, prépare, paraît-il, une lettre à un jeune rugbyman. "Tout apprentissage est un temps de clôture" serait son incipit. Il détourne la phrase de Rilke, enlève la clôture et loue l'air du pré. Le décalage vous dis-je.

Je crois que le score fut de parité. A vrai dire, on s'en branlait un peu. Sauf la Piballe avec son art de compter inique et arbitraire. Les lacaniens diraient y niquent, mais jamais les lacaniens ne s'intéressèrent à la gonfle. Un tabou peut-être pour les membres de cette diaspora. Un totem infranchissable.
Pioupiou qui se contenta de quelques tours de terrain ne me contredira pas.

La gonfle est une sublime métaphore du noyau névrotique. Quand l’intérêt se fixe dans la psychose autant s’éloigner de tout ce qui se rapproche des balles. La gonfle n’est pas en effet un sujet de prédilection dans la psychanalyse même si pour Lacan, l’intime du vivant se dissimule pour lui derrière un gros révolver. La preuve en est dans « L’origine du Monde » propriété temporaire de ce penseur. Pour caresser l’analyste « Tout acte manqué est un discours réussi ». Ainsi il fut décidé qu’il n’y aurait point de douche pour les sportifs. Ce soir, seul le terrain sera mouillé. Le robinet pour les douches restera fermé. Comme quoi, le plaisir de la gonfle est plus sujet à la castration qu’à la jouissance. Le lavabo analytique peut suffire à Piou Piou mais semble trop réduit au nombre de joueurs de gonfle. Cette fois-ci chaleur oblige seul le terrain sera arrosé. Et les castors en sueurs ne se feront pas attendre pour fusionner quelques minutes de plus avec la pelouse.

L’habillage, le coiffage, la poésie du Barde qui transforme le vulgaire en sublime et le salaud en beau et nous prîmes la direction du trou.

Le trou avait des airs d'Italie. Sur le devant de la porte, Guigui avait affiché ses intentions.

Point d’inquiétude à celui qui ne sait lire, la feuille est bien remplie. Notre tropézien sait accueillir ses troupes. Les tables du trou ont été confiées pour la soirée à Guillaume. Il lui manque juste la barbe pour se rapprocher de Moïse. En revanche il porte le képi pour se confondre avec Pépé. « Bien avant 22H la porte du trou tu franchiras ». La troupe s’attacha à répondre à cette loi pour rapidement se poser à l’autel des spiritueux. L’humeur est bonne, l’entrée en matière de notre hôte a fait déjà ses premières victimes. Les vieux sont à table devant le plat de charcuterie en taille fine. Plus c’est taillé fin et plus les ventres sont gros. Ca pépé ne l’a pas marqué sur ces tablettes. Le Guillaume est bon. Généreux par ses tranches de cochonnailles qui allient aussi bien le jambon à la mortadelle. Pour sûr les clés du divin dans la cuisine du cochon s’inspirent de l’Italie dans sa vraie renaissance.
Le poulpo à son habitude mange le cochon en tapas. Il est comme ça ! Il s’est entouré pour se faire de sa promo, et profiter debout de ces délices en bouche. Le calamar se marie très bien avec le cochon. Il n’en manquait qu’un pour faire de ce noyau un rappel aux trois mousquetaires de Dumas. Pas celle avec son divan, mais celui qui se confond avec son fils. Nous avions réparti les rôles pour que chacun se complaise dans son personnage de prédilection. Bernachatte et Poulpo se retrouvèrent par bienséance dans le personnage principal, D’Artagnan et sa constance. Il fut délibéré après recherche généalogique que Guitou en est l’unique héritier. Guitou était là ! Heureux le Bel homme. Il choisit Jean François du même nom comme gascon de référence qui prit en retour Bernachatte pour Constance. Athos, Porthos et Aramis se complaisaient à ripailler comme amateurs émérites des bons plaisirs de tablée. N’ayant point d’eau pour se doucher ils profitèrent de chaque occasion pour baptiser tout inconscient. Les baptêmes du Sabite se firent en secret en revanche le Jacouille mouilla par rigole. Point de Mardi sans douche. Le cri du gendarme rappela le décalogue sacré. Pépé était apaisé de voir son trou respecté, le tcho heureux sifflait un air de Saint Tropez.

En guise de plat principal, une spécialité d'Emilie Romagne revisitée façon landaise. Un clin d'œil à Helena et au Général. Guigui aime mêler les mondes. Et le monde, on l'aime mêlé. Ses lasagnes ponctuées de miettes de canard confit avait beaucoup de grâce. Nous n'étions qu'une vingtaine. Guigui avait misé sur une trentaine. Il ne resta rien. L'hommage du trou fut unanime. Guitou et sa parure Hermès se régalait. L'hommage de la Grèce à la botte en quelque sorte. Alors s'éleva l'hymne au gendarme éternel, celui que Jean Giraud éternisa sous les traits de de Funès. Le gendarme au trou a de la gueule. Il manque à la série. Les trous du septième art demandent réparation.

Le lancer d'assiettes fut parfait. N'était Jean-Phi hélas. Guigui s'inscrivait dans la tradition. Point trop de dommages pour notre fée Maria. Qu'il en soit loué. C'est alors que Jacouille ressentit le besoin, guerre du collège oblige, de nous faire part de ses lettres latines et de citer son Juvénal :

"Ainsi que le castor qui se châtre lui-même, heureux de s'en tirer
Au prix d'un testicule - il connaît la vertu
De son aine ! "Jetez tout ce qui m'appartient !". "Putain, Jacouille, tu m'épates" s'exclama le Tcho. Jacouille joua l'indifférent ; Pioupiou pleurait des larmes belles et filiales. Et Guigui de le remercier en lui glissant, tu sais ma Jacouille que mon amour pour la botte doit beaucoup à Juvénal et à Catulle." Oui lui répondit Jacouillle sous l'œil hébété de Pépé.

Il en faut peu pour rendre les gens heureux. Un sandwich fera l’affaire pour le fromage. Nous ne le répéterons jamais assez, mais notre hôte est Bon. Le Sandwich il l’accommode à sa manière. Les lasagnes sont une superposition de bonnes choses. Il est vrai, elles se sont évaporées à la vitesse de nos estomacs démesurés. Le sandwich sera par conséquent lacté et ne mangera pas de pain. Un mélange subtil est raffiné, d’un brie coupé à sa moitié farci à la truffe dans son interstice. Loi numéro 4 du décalogue « Le palais de tes aimés tu combleras ». Sur ce, le silence se fit. La truffe est au brie ce que le sourire est à la Joconde. Les deux nous rapprochent par l’essence du féminin dans la béatitude. Le silence n’est pas d’or mais de brie. Le Jacouille ne pouvait dire mot, son silence parlait pour lui. Il fallut l’intervention de son fils pour nous ramener à la répétition d’une chanson monotone. Pour que le plaisir s’apprécie, besoin qu’il soit éphémère autrement il ne peut se vivre et se redécouvrir. Piou Piou l’a bien compris pour nous ramener à chaque instant aux plaisirs du trou. Quand Piou Piou chante, le trou est heureux.

Ce soir, c’est décidé Guigui superpose. Le désert est un Tiramisu. C’est un dessert d’Italie qui reste dans les superpositions dans le thème italien de la soirée. Cela vient de « tirami sú » littéralement « tire-moi vers le haut ». Notre Barde associerait à volonté dans son parlêtre sur ce dessert de prédilection. De nombreuses légendes en effet entourent l’origine et l’intérêt portés à ce dessert italien. L’hypothèse la plus probable pour les amateurs d’eau que nous sommes, reste néanmoins liée à la cité des gondoles très éloignées des steppes. Les vénitiennes faisaient le tiramisu pour en manger avec leurs amants le soir, croyant qu’il leur donnerait plus d’énergie pendant leurs relations sexuelles. Ceci pointe la légende à défaut d’autres choses. Nous ripaillâmes de ces entre-jambes pour mieux nous resservir de ce qui nous tire vers le haut.

Le café coula, les ventres retrouvèrent leurs jambes pour s’asseoir au comptoir. Les glaçons se réchauffèrent dans la menthe.

La soirée languissait vers son terme. Les quelques castors de comptoir étaient heureux. Guigui prit le chemin du retour. Sitôt la porte fermée, songeant à Helena, il revint à Catulle :

"Sois, sous quelque nom qu'il te plaise,
Sainte, et protège avec bonté
Notre race de Romulus
Comme aux époques anciennes."

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