15 mars 2017

Le cuistot de bouffe: Curry tu pleures pour Bernatchatte

Par Le Barde et Bardibulle


Yann était assis dans le vestiaire. La soirée commençait par un retour. Ce ne pouvait qu'être une belle soirée. D'autant que Lisandro Arbizu, aussi, était là.

Il y a des mardis comme ça où tout est promesse.

Nous jouâmes sur le terrain annexe. Comme autrefois. La pelouse était à peine humide et douce. Zeille savourait le temps retrouvé. "Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir" glissa-t-il à l'oreille de Yann, citant le deuxième ligne de L'Isle-sur-la-Sorgue. Et d'ajouter : "Tu sais, mon petit, ce terrain annexe, c'est un peu notre livret de famille."

Nous étions une bonne vingtaine. Petit à petit nous repoussâmes les limites du terrain pour finir sur l'aire habituelle d'une partie. Nous dessinâmes des perpendiculaires.

Notre joute fut équilibrée. Pas de gagnants. Mais de belles courses, de belles passes. Il est vrai qu'avec Lisandro ! Pas beaucoup de commentaires. À peine. Serge et le Tarbais allaient leur train habituel. Pioupiou plongeait en vain sur son adversaire. Jérôme avait de l'ardeur, repoussant sans cesse les frontières de son corps.

Oui, une belle soirée. Une soirée de printemps. Même la Jacouille était de pré. Il nous gratifia de quelques beaux gestes. Et parvint à mystifier Perdigue qui, pourtant, n'était pas là, sous le regard ébloui de Lisandro.

Au trou, Philippe, ceint d'un tablier moulant, noir, opérait. Il y avait du monde. Yannick comptait parmi les convives. Ainsi que JB, et sa chevelure poivre et sel. Et le prof, Lolo. Une jolie tablée, mêlant nos temps pour n'en faire plus qu'un.

C'est par un bouillon de citronnelle aux légumes et crevettes grises que nous commençâmes. C'est peu dire qu'il était épicé. Mais il était bon. Une recette thaï. La boutique est aux anges ! Une manière de dire notre ouverture au monde en ces temps de replis stériles.

L’ouverture a toujours était une cible pour notre cuistot. Son jeu en décalque ou manie de la percut’, nous la retrouvâmes à chaque bouchée renversée.

Freud pourrait à ses heures perdues réfléchir sur un lien entre les personnalités de nos castors en chef et les décalques culinaires de notre ordinaire. Autrement dit, nous retrouvons des similitudes entre les cartes des chefs et le style rugbystiques du toqué affranchi en herbe. Mozart était là ! JB pour les intimes cuisine et joue ses partitions dans une harmonie de puissance et de constance. Un métronome en culotte courte. Pas une fausse note ! La mélodie du bonheur est dans son pré comme dans ses casseroles (dessert compris). Sans s’emmêler puisque il est demi. La distribution est faite tant pour les « nouveaux maigres », que les « anciens gros ». Bref tout castor philobate et épicurien se pose dans un fauteuil pour d’eux et danse avec un taureau.

Bernatchatte joue dans une autre catégorie. Il fait partie des gros. Des grands qui sont gros avec un IMC proche de l’ascète yogiste en ascenseur. Il joue dans la chasse, des temps d’observation, de replis stratégiques et de frappes dévastatrices (à l’américaine avec une précision chirurgicale !). « On t’a jamais dit qu’il ne fallait pas revenir à l’intérieur ». « Tu sais maintenant ce que c’est qu’un faux trou »… Les répliques notre cuistot du soir en connait plein. JP les adore. La technique il la maitrise et l’explication il la donne. Bref son jeu n’est pas silencieux mais bien une variation de léger adagio en ballade et des presto « allez gros » explosifs en affût. Pour aider à la représentation ça serait dans une harmonie ces quelques frappes de cymbales derrières les grosses caisses. Celles qui piquent les oreilles. Le temps s’arrête pour certains et continue pour d’autres. Sa bouffe se décrit à l’identique. Une ballade de riz blanc et une sauce de curry qui joue les fameuses cymbales. Piou Piou en bon trésorier de suppléance de nous rappeler que le repas est toujours à dix et non à cymbales. Le curry fait son effet même la douceur de la poule n’y pourra rien. Les gouttes suintent sur les fronts de nos castors. Les poilent luisent et la bouche explose. « Ché comme cha que cha che manche » me souffle Hamilton amateur d’exotisme à ses heures. Peyo à son habitude pousse la cacahuète un peu plus loin. « Après l’effet du piment ché fistement bon… ». Le hauchat du coup fait l’unanimité. Le sabite trouva sa promotion en Bernatchatte « hauchat ché bon ! ». Nous branchâmes la clim pour faire descendre la température en bouche et les plus courageux tentèrent une deuxième fourchette. Le plat est un curry de poulet au basilic et aux cacahuètes. (Poivre et piment en céréales killer ). Impossible à prononcer quand il est en bouche. Le béret de Pépé changea de couleur et vira rouge. Loin de son Béarn pour se rapprocher de Tarbes. Le saut rappelle les classes. La seule chose qui nous rattrape c’est l’atterrissage. Du transall au transit c’est une manière d’épicer la vie…

Le lancer d'assiettes fut exceptionnel. Seule la Jacouille laissa choir son couvert. Et ronchonna en repliant ses bras contre son torse. "Moi, je préfère les passes de Lisandro" grommela-t-il. Le fromage était parfait : brebis, roquefort et camembert. Titi devisait et eut cette phrase sublime : Dieu a démissionné. La Jacouille opina du chef. Était-ce en rapport à sa longue discussion avec le Prof, furieux des deniers aléas du Top 14. Deux visions du monde s'affrontaient. Ainsi va la vie. Lolo moquait la Piballe. Jean-Phi nous annonça la date de son traditionnel samedi d'été : le Samedi 24 juin. Pioupiou chantait des cantiques. Un souper comme on les aime. Pimenté à souhait !

Il n'y eut pas vraiment de dessert. Les sorbets à la fraise étaient hors d'usage. N'importe, ils étaient accessoires. Une belote de comptoir pouvait se dresser. Elle vit la défaite de Léo. Les mains n'étaient guère généreuses.

La nuit pouvait nous accueillir. Une nuit douce. Titi fendait sa route de retour. Hamilton pensait aux merveilleux nuages et Bernatetchate avait l'âme plus thaï que jamais. Oui, il y a des soirs qui sont un peu plus que des soirs, une manière de vivre.

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