18 mai 2012

Le cuistot de la semaine à la bougie


Par Le Barde



Le vieux 4 s'est plié en quatre pour ses soixante ans. Cell sautait aux yeux quand nous pénétrâmes dans le trou.  Alain-Charles (vous ne trouvez pas qu'il y a du Marie-Chantal dans ce prénom aux relents de beaux quartiers ?) avait, en effet, méticuleusement aligné quatre asperges dans chaque assiette. Clin d'oeil évident à un passé tenace, un passé qui ne passe pas. Les secondes lignes sont des asperges, l'affaire est entendue.
Et le vieux 4, c'est une sacrée asperge.
On raconte qu'un jour, goûtant une asperge à Mandragon, il épouva la même sensation que Marcel trempant sa madeleine dans une tasse de thé, et qu'il est, depuis lors, devenu incollable sur La Recherche du temps perdu. On murmure même qu'Alain-Charles concocte un livre sur l'asperge dans l'oeuvre de Marcel Proust.
En plat de résistance, des patates bien sûr (et tous les castors attablés de pousser en coeur la rengaine : lundi des patates, mardi des patates, mercredi des patates aussi...). Alain-Charles, il aurait préféré une mélodie de Reynaldo Han mais Alain-Charles, il n'est pas contrariant.
Avec les patates, un patchwork de viandes. Il était très fier de son patchwork Alain-Charles. Il confessait l'avoir mitonné toute l'après-midi.
Le grand 4, il exagère toujours un peu. Mais c'est pour ça qu'on l'aime.
Le général me fit part de ses craintes pour le lancer d'assiettes. Il avait pris ce qu'il faut d'outils pour coudre de probables plaies. L'assemblée n'en menait pas large. Une peur diffuse se devinait sur chaque visage. Walid tremblait, Lolo se rongeait les angles et Perdigue se planquait sous le comptoir. Peine perdue. Le vieux 4 fit montre d'une adresse qu'on ne lui soupçonnait pas.
Les amateurs de fromage en furent pour leur compte. Exit le fromage.
Alain-Charles alla à l'essentiel : un gâteau d'anniversaire au chocolat, un gâteau à damner tous les saints. Le champagne coulait à flots. Et Pioupiou de chanter des chansons douces sous l'oeil attendri de la Jacouille.

Quelques fidèles s'attardèrent au comptoir. Le vieux 4 récitait sa vie. Donatien prenait des notes. Et Loulou buvait les paroles d'Alain-Charles qui revint de longues minutes sur la place de l'asperge dans l'oeuvre de Marcel. C'est pour n'avoir pas été au bout de l'asperge que Marcel a échoué. Car La Recherche toujours demeurera inaboutie  asséna-t-il en conclusion. Il prit alors ses cliques et ses claques et alla rendre un juste hommage à l'Eternel. En guise de cierge, une asperge bien sûr.

Aucun commentaire: