31 octobre 2012

Le cuistot de la semaine et l'abat si j'y suis

Par Le Barde



Les premiers froids sont gages de beau jeu. Le rugby fut d'abord pratiqué dans un pays de pluie, de vent. Le ballon quitta bien de temps en temps les doigts gourds de Peyo, Régis and Co ; n'importe, le jeu fut alerte, vif et les vieux surent distiller des passes pleines d'à propos aux jeunes pousses en cannes. La partie fut  équilibrée. Dudu, de prime abord, payait guère de mine ; peu à peu, il recouvra de l'allant et, s'abstint de tout commentaire. Non, j'exagère. Dudu sans commentaires, c'est un peu comme si la Vénus de Milo avait retrouvé ses bras ou Pépé perdu sa langue.

Au trou, il y a de nouveaux bocks. Ils sont bleus et frappés aux armes des castors. Au trou, Hamilton redonnait au B sa juste place. La première. Tout abécédaire est arbitraire. Le B est  A ; c'est ainsi et pas autrement. Hommage au bêta grec en somme. Et lorsque j'écris cela, je ne pense pas à un benêt ou un niais du pays d'Homère mais à la deuxième lettre d'un alphabet dont il demeure le maître inégalé. Est-ce pour cette raison qu'Alain avait préparé le b.a.-ba des abats ? Il y avait là, en effet, de petits coeurs de canard, de foie, de gésiers. Mais seul, un abat n'est rien. Ce n'est pas s'abaisser que de penser de la sorte, ni s'abandonner  à une herméneutique arbitraire. Hamilton, avec une délicatesse toute japonaise, avait ainsi réparti dans de petites assiettesdes pignes de pin, de fines lamelles d'oignon. Il n'y avait plus qu'à ajouter des feuilles de salade et la sauce vinaigrette. L'ABC d'une entrée réussie en somme. Passé l'ABC, Alain déposa une longue marmite sur la table légèrement dégarnie. En son sein, des pommes de terre marinait dans une sauce au curry avec de petits lardons, du céleri, et un veau tendre à souhait. Un régal. Il faut savoir rompre avec le cassoulet.  Alors qu'il allait entamer sa première pomme de terre, avant de l'avoir introduit dans sa bouche, pour une raison indéterminée, obscure, Bernard s'adressa à Guitou en ces termes : « T'as déjà tiré un travelo ? » Et Guitou de répondre : "Non jamais, moi je file droit, je n'emprunte jamais les chemins de traverse. Sauf pour atteindre l'Acongagua." Jacouille resta de marbre.  Et  récita les Évangiles. Les miasmes de ces pensées putrides ne l'atteignaient pas. Jacouille, c'est un pur. Je sais bien qu'il faut se méfier de la pureté, que « la pureté c'est le vitriol de l'âme » ; n'empêche, Jacouille c'est un pur, et je ne dis pas cela par esprit d'escalier. Pendant ce temps-là, Hamilton conversait avec un Pépé particulièrement remonté contre le changement horaire. « On ne badine pas avec le temps. On peut badiner avec l'amour. Pas avec le temps. Les saisons nous dictent le temps. Ceux qui  tripotent le cours du temps sont de gros enculés. Dommage que le père Heideger ne soit plus de ce monde. As-tu lu L'être et le temps mon petit Hamilton ? » Alain dévorait Pépé des yeux et lui déclama le premier vers d'Elsa : « Je vais te dire un grand secret, le temps c'est toi. » « Merci mon petit. Permets-moi de te répondre avec du René Char : "A tout effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir."  Si je suis ton temps mon petit Alain, sois ma salve. » Et Alain d'opiner du chef lors que deux petites larmes sillonnaient les joues de Pépé.Donc Alain se fit salve et lança les assiettes. La première, bien sûr, fut pour Pépé. Alain lança Zen. Pas de casse. Pour chanter le fromage : du camembert. C'est mieux que de la vache qui rit, on en conviendra. Il n'y eut pas de chant, mais il y eut du camenbert. Enfin ce fut le temps des compotes. D'une compote de pommes dans laquelle se prélassait des bâtons de cannelle. Avec des langues de chat en sus. Ce qui fit dire à Lolo : « Y'a les langues de putes et les langues de chattes ».

Toujours pas de What Else. Florian assure et assume. Florian n'est pas What else, ça saute aux yeux. Mais Florian fait le café quand What else n'est pas là. La soirée pouvait donc s'achever avec une belote de comptoir. Seuls Hamilton et Don restèrent. De quoi conversèrent-ils ? Seule la nuit le sait. Une nuit de novembre étoilée.

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