26 septembre 2013

Le cusitot de la semaine est ทองสาขา

Par Le Barde

 

Qu'il est mignon le petit terrain d'Eysines, intime, presque familial, sans l'ombre d'une publicité. Il possède de mignons petits vestiaires accueillant sans problèmes tout notre petit monde. Ah ! ces relents de clubs que l'on dit petits, ce fumet d’antan, cette cure de jouvence. Oui, le rugby est dans le pré ; c'est là que l'on trouve les herbes folles et les fleurs sauvages qui donnent ce qu'il faut de grâce à ce bas-monde pour qu'il soit supportable. Le petit terrain d'Eysines appartient au club éponyme qui nous y accueille les bras ouverts. Qu’il en soit remercié.

Notre galop d'essai ne fut pas un galop de maître. Nos corps ne sont pas encore affûtés, et nos mains hésitantes n'ont pas le doigté sûr qui évite à la gonfle d'échouer plus souvent que de raison sur l'herbe. N'importe, il est bon de retrouver les plaisirs du pré, les courses folles de Toto, les débordements vifs de Walid et la rigueur saillante des prises de balle de Seb. Ce fut un bon moment sous la chaleur épaisse de cet été indien. 

Au trou, Coco, ceint d'un tablier blanc, nous accueillait en maître d'hôtel thaï. Un maître queux peut être un maître thaï. (Le maître queux, avec un x à la fin, désigne un chef cuisinier. Cette bizarrerie d'orthographe vient du mot latin « coquus », qui vient lui-même de « coquere » qui signifie cuire). Et c'était si juste, si approprié à cet automne qui n'en finit pas de prolonger l'été. Ah ! La petite soupe à la citronnelle, saupoudrée d'herbes, de lamelles de poulet, douce, parfaite, parfumée, délicate, onctueuse. Etait-ce une variante de la Tom yam kung, le poulet ayant suppléé les crevettes ? Perdigue en abusa, trempant sa moustache dans le dive breuvage, puis, la lustrant d'un doigt dandy, comme si de rien n'était. Pépé, nimbé d'un polo Ralph Lauren, regrettait sa garbure mais trouvait son comptant dans ce potage asiatique. Trois civilisations en une, l’espace d’un soir. Il n’y a que Pépé pour mélangeait les mondes de la sorte.

Vinrent ensuite de fines miettes de calamars mêlant leur chair à de petits légumes. Le soja côtoyait le poivron et l’oignon. Un régal de finesse. Puis ce fut un porc en sauce. Etait-ce un Sizzling ? Un Phat krapao kai (ผัดกระเพราไก่) ? Je l’ignore. Et je crains fort que ce ne soit ni l’un ni l’autre. Mais, à vrai dire, je m’en branle. Nommer est illusoire, une manière bancale de s’approprier le monde, faute de mieux. Seul compte le goût ; la langue du corps parle tellement mieux que celle des mots lorsqu’il s’agit de plaisir. Nous nous interrogeâmes sur les petites billes vertes qu'un ignorant qualifia d'aubergines. C'est être bien peu sourcilleux des courbes que d'identifier ainsi ces gros pois qui ne disent pas leur nom. Bien sûr, il y avait du riz. Papé Hamilton se régalait — il est grand-père notre Michel Ange de la pellicule, grand-père d'une petite Pénélope, née près de la baie des anges. Loulou s'en donnait à cœur joie, et voyait dans chaque morceau de viande autant d’idéogrammes qu’il déchiffrait avec une rare patience. Coco couvait ses petits d'un regard tendre.

Le lancer d'assiettes serait paisible ; il le fut. Pour compenser ce calme inhabituel, un chœur d’assiettes s’éleva. Il culmina à des hauteurs brésiliennes. Qui de tapoter avec sa cuillère sur l’ustensile, sur un verre, un pichet, une bouteille, qui de marteler la nappe maculée de brefs petits coups répétés. Ce fut un enchantement. Le maître queux ne se laissa pas démonter par les incantations fromagères de ses petits. Comme si la cuisine thaï pouvait se disperser dans la tradition française ! Toutes choses qui n’empêchèrent pas une conclusion très frenchy : de minuscules tartelettes au chocolat mais surtout de petits biscuits fourrés à la fraise. « C’est fameux » s’exclama Perdigue, plus dandy que jamais. « Mes couilles tu vas finir cours Clémenceau » lui asséna Pioupiou. « Oui, c’est fameux » insista Perdigue, indifférent aux propos du lanceur de cruches. Guitou, lui, demeurait mutique jusqu’à ce que nous chantions la fin de l’été. Alors, il se contorsionna, fit la danse du ventre et nous jeta un regard énamouré.

La soirée touchait à sa fin. A mardi prochain.

Aucun commentaire: