Par Le Barde
Ils n'étaient qu'une petite poignée à Victor Louis, une dizaine à peine. Soit deux poignées en réalité et non pas une petite. Un incipit bancal en somme. Pouvais-je commencer par ils n'étaient que deux petites poignées ? La réponse est oui. Encore qu'il faudrait s'entendre sur petite poignée. Qu'elle soit au singulier ou au pluriel, unique ou double. Reste que, de toute évidence, on pouvait les compter sur les doigts des deux mains, une dizaine vous dis-je. De toute manière, je ne peux pas en dire beaucoup plus. Car, je n'y étais pas. Tout ce que je sais, c'est qu'ils s'opposèrent à cinq contre cinq, donc qu'ils étaient dix. Poignée contre poignée. Ah ! Qui dira les charmes de la polysémie, cette manière élégante de ne pas y être et de la ramener quand même, de n'être pas le bec dans l'eau. Car, à vrai dire, ou à bien écrire en réalité,une petite poignée, une dizaine à peine, n'est tien moins que juste. Et nul ne me tiendra rigueur de cette entrée en matière. Enfin peut-être. Elle est un peu tirée par les cheveux, je l'admets.
Lorsque je suis arrivé au trou, vers les 21:30, ils n'étaient qu'une petite poignée : Gilbert, Pépé, Alain-Charles, Jacouille, et Léo qui était commis à la bouffe. J'étais accompagné par Jesus, et oui, et Gaël. Un accordéoniste et un danseur. Résidence d'artistes oblige. Nous préparons un spectacle, MatcH, pour le 6 novembre à 20:30 au Molière scène d'aquitaine avec Don. À bon entendeur salut. Sur le comptoir, des bourriches d'huîtres. De chez Gillardeau.
Sans attendre la petite poignée qui était à Victor Louis, nous entamâmes de douces hostilités. Un régal ces Marennes et ces bretonnes. Et c'était assez insolite cette entrée en matière au comptoir. Un incipit de première main. Pourquoi, en effet, réserver un incipit à la seule littérature. De bonnes huîtres valent mieux qu'un mauvais texte. Le comptoir grossit lorsque la petite poignée de Victor Louis nous eut rejoint. Bernarchot, Hamilton, Dudu, Croucrou, Jean-Phi, Toto, le Préside, Don, le douanier et, cerise sur le gâteau, Yannick, notre cinquantenaire. Tous de laper les huîtres de Léo. Et de boire un petit Sauvignon. Pourquoi diable seules les poignées seraient petites. Un pur moment de grâce. Avec Léo, tout est grâce. Un plâtrier céleste. Léo est enfant de la Bible.
Alors nous nous mimes à table. Un cuisseau de jambon de derrière les fagots nous fut servi avec de putains de haricots. Avec Léo, ce qui est lourd devient léger. Tous de déguster. Avec un Hauchat en prime. Le Hauchat de Jean-phi sied au cuisseau de jambonneau avec ses fayote. N'en tirons pas de vaines conclusions. Jésus, l'accordéoniste conversait à la française avec Alain-Charles qui prenait des airs de Marie-Chantal sous l'œil bouleversé de Don. Hamilton évoquait le semblant de peuplier qui se dresse dans le parc du château de la Ligne. Léo trônait comme trônent les dieux. Il y a chez lui je ne sais quoi d'homérique. C'est une épopée à lui tout seul ; comme si le monde tenait tout entier dans sa seule présence, comme s'il en était le suc. Cela n'est pas donné à tout un chacun. Le jansénisme est juste au bout du compte. La prédestination n'est pas qu'une vue de l'esprit.
Et les assiettes fusèrent comme les grecs à Troie. Pas une main récalcitrante, rebelle. Léo exécutait sa partition comme Pavatotti chantant ma Toscane. Rien que de très juste, de très élégant. Je ne me souviens plus du fromage. Si, c'était du Comté, c'est-à-dire un gruyère sans trou. C'est de peu d'importance car la mousse au chocolat était à se damner tous les saints. Jésus chanta. Car Jésus à du coffre et n'aime rien tant que ceindre l'espace de sa voix puissante. Tout n'était que calme, luxe et volupté.
La soirée se termina en douceur. Un croissant de lune souriait. Le ciel était parsemé d'étoiles. La belle vie en somme, la seule qui vaille.
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