20 février 2015

Le cuistot de la semaine, le mardi gras selon Bernard

Par le Barde


Les clés se font attendre. C'est une antienne comme les autres. Sans Jean-Phi, pas de vestiaires. Alors nous attendîmes, papotant de choses et d'autres, de la pluie, du vent, des étoiles, des impuissances du XV de France, que sais-je encore. Loulou avait garé sa Guzzi près du Vespa d'el Pulpo. Une affaire très italienne en somme. A la condition d’appeler désormais el Pulpo il Polpo. Dudu rêvait de promenades en mer en regardant le canot à moteur un peu décati qui longeait une herbe sage. Il fredonnait un air d’Arthur Rimbaud : " Oh ! là là ! Que d'amours splendides j'ai rêvées." Gwen en restait coi. Et Perdigue de dire : "Ton bateau ivre, mes couilles, il a de la bouteille ! " Un méli mélo poétique que cette attente. À se demander si Jean-Phi ne fait pas exprès. C'est ce que pense Régis ; je ne saurai lui donner tort.

Nous étions une petite vingtaine. Guitou composa une équipe assez approximative. Et subit une large défaite. Les cinquantenaires d'en face distribuaient le cuir avec efficace. Rien ne leur résista. Ils créaient des intervalles où s'engouffraient de jeunes pousses qui ne cessaient d'aller à dam. Gwen était aux abois, Perdigue et son petit constatait l'ampleur du désastre. Il y a des soirs comme ça. Cela ne tient à rien, à une manière d'être, provisoire et lumineuse. Sur le pré, pas un mot de trop. Tout était lisse et paisible. Croucrou en tête, avec son petit bonnet.

Au trou Bernard piaffait d'impatience. Comme d'ordinaire, il avait bien fait les choses. Rien que du traditionnel de grande classe. Bernard est généreux Chacun de ses repas est une action de grâce. Que dire de ce foie gras, parfumé au Floc de Gascogne. Sinon qu'il taquinait le sublime. Il persista dans le canard. Un canard aux olives avec de petites pommes de terre rissolées. Un délice. Et il y en avait pour tout le monde. Bernard craignait d'être court en quantité. A tort, il avait vu juste. JB n'en pouvait, Loulou prit deux morceaux, Guitou se délectait. Le vieux quatre était aux anges. Lolo itou. Bien que les anges de Lolo ne soient pas tout à fait les mêmes que ceux du vieux quatre. Le vieux quatre, il reste fidèle à ses lectures d’adolescence et à Moby Dick : « Si tu gouvernes le requin en toi, tu seras un ange ; car tous les anges, c'est rien de plus que des requins bien gouvernés. » Au bout, tout au bout, le Tcho, Pépé et Gilbert se laissaient bercer par la chair suave des dives bestioles mitonnées par Bernard.

Le lancer d'assiettes ne fut qu’une formalité. Avec son air de ne pas y toucher, Bernard, il touche comme peu. S’il est question de la grâce efficace dans les vieux débats jansénistes, au trou ou sur le pré, il n'est question que de toucher efficace. Le relève aussi des affaires rugbystiques. Donc. Fidèle à ses us, il nous servit un camembert rôti. Chacun de l'étaler sur une tranche de pain grillé frottée à l'ail. Le tout avec un soupçon de Saby, mais sans coquelicot. Le Général trempait sans relâche.

Ce mardi 17 février était gras. (Comme chacun le sait, Mardi gras est une période festive qui marque la fin de la « semaine des sept jours gras » autrefois appelés jours charnels[]. Cette période, pendant laquelle on festoie, est suivie du mercredi des Cendres marquant le début du Carême. Elle se situe donc juste avant la période de jeûne, c'est-à-dire -selon l'expression ancienne- avant le «carême-entrant» ou le «carême-prenant». Les «Sept jours gras» se terminent en apothéose par le «mardi gras». L'esprit de jeûne et d'abstinence qui s'annonce est momentanément mis entre parenthèses.) Nous eûmes donc droit, après force canard et camembert rôti à des crêpes. Deux par personne. Ah ! Milla ! Ceux qui voulaient les parfumer d'un peu de rhum n'avaient qu'à déposer quelques gouttes de cet alcool des îles sur une petite cuillère et, à l'image de Loulou, la faire flamber. Les autres se contentant d'un peu de sucre. Bernard souriait, de son petit sourire malicieux, ravi de ses bienfaits. Sous le regard ému d'Amélie.

La soirée s'étira. Les castors repoussaient l'étreinte de Morphée. Ils papotaient , papotaient. Puis s'évaporèrent dans la nuit. Bernard repoussa la porte du trou, fit un rapide clin d'œil aux étoiles, s'engouffra dans son coupé et regagna son nid. Au réveil, il était midi.

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