04 mars 2015

Le cuistot de la semaine, c'est kiki ki avait la clé

Par Le Barde



Les clés se font toujours attendre. Pire, elles ne viennent pas. Sans clés pas de pré, sans pré, pas de paradis. C'est une suite, d'un mardi à l'autre, une suite musicale. Mais personne pour nous donner le la. On se morfondait, on se gelait un peu et, de guerre lasse, nous prîmes la direction du trou. Nous,  c'est-à-dire une toute petite poignée  d'indéfectibles  trousseurs de béchigue. Quel est le con qui a dit : "Tout vient à point à qui sait attendre "? C'est cet enfoiré de Rabelais. Dans la langue d'origine cela donne : « Tout vient à poinct, qui peult attendre ». (Pantagruel, Livre IV, chapitre 48).

Au trou, il y avait un peu de monde. Peu, ce n'est jamais beaucoup mais c'est toujours mieux que rien. En sorte que Kiki n'était pas suspendu à lui-même. Sur la table, des huîtres du Bassin. Kiki s'est amouraché de ce bout d'un monde. Il y vit, y cultive ses rêves, et n'aime rien tant que contempler le soleil se levant sur cette baie (baie, c'est plus joli que bassin, vous ne trouvez pas ?).

Les huîtres de Kiki étaient délicieuses. Il y en avait à foison. C'est normal puisque nous étions peu. Moi, quand je mange des huîtres, je pense à Walid. Walid, c'est le Balzac de l'huître. Donc Walid était là par la grâce des huîtres. Un peu, ce n’est pas assez, mais c’est tellement mieux que pas du tout. Les huîtres de Kiki étaient accompagnées par de longues saucisses. D’ordinaire, elles sont courtes.  Mais avec Kiki, le court fait toujours dans la longueur. C’est comme le peu et le beaucoup. Sauf que là, le beaucoup se substitue au peu. Vous me suivez ?
 
Tout le monde de goûter le mollusque avec avidité. Surtout Pépé, et, dans une moindre proportion, le Tcho. Le Zeille et Gwen n’étaient pas manchots.  Alors, Maxime se leva et avoua son amour pour Francis Ponge. Amour qu’il doit à l’huître du Parti pris des choses. Et de réciter par cœur : « A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en-dessus s’affaissent sur les cieux d’en-dessous, pour ne plus que former une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords ». «  Et mes burnes, tu flues et tu reflues, toi ? » lui demanda la Jacouille. Il n’eut pour toute réponse qu’un silence dédaigneux.
 
Pas de Saby blanc mais un Entre-deux-Mers de bonne facture. Le Saby, c’était pour la suite. En l’occurrence, de la pintade avec un gratin  de je ne sais plus quoi. J’ai la mémoire qui flanche. Sans doute était-il de pommes de terre. Oui, il était de pommes de terre. Enfin, à ce qu’il me souvient. L’essentiel était le contentement de tout un chacun. Et tout un chacun était satisfait. Il faut dire que la pintade du boulevard de la plage était bonne. Ce n’est pas Bernard qui dira le contraire. Bernard qui avait décidé de rendre hommage à Michel Audiard. Sans doute à cause des pintades. On eut droit à : « Quand un homme a un bec de canard, des ailes de canard et des pattes de canards : c’est un canard. C’est vrai aussi pour les petits merdeux.  », « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche.  », « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière. »
 
Au lancer d’assiettes, Kiki fut égal à lui-même : parfait. Le problème avec Kiki, c’est qu’il ne sait pas qu’il est parfait. Il n’a pas conscience que ses imperfections, somme toute étiques, contribuent à sa perfection. Rien de tel qu’un lancer d’assiette pour constater cet équilibre entre le corps et l’esprit. On retrouvait l’admirable joueur de pala, cet être équilibré, ne payant pas de mine, et diaboliquement efficace. Pour tout dire radieux.
 
Fromages et dessert ne furent qu’une formalité. Il y en avait pour tos les goûts pour ce qui touche au fromage. En dessert une tarte. Rien à redire. De la simplicité considérée comme de l’un des beaux-arts. La soirée s’étira un peu. JB conversait avec Bernard et Bernard avec JB. Ce qui est dans l’ordre des choses. Le comptoir s’animait un peu. Les plus jeunes partirent à la rencontre de la nuit. Kiki resta jusqu’au bout, ferma la boutique et sifflotant l’allegro moderato de la sonate Arpeggione de Schubert, il retrouva son petit bout du monde. Les étoiles au ciel faisaient un doux froufrou.

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