C'était par une douce soirée de mars. Nous étions une vingtaine. Il y avait beaucoup de jeunes. Nous fêtions le retour de Walid. Le Libanais a retrouvé son aile. Et c'est bien. Le ballon joncha le sol plus que de raison ; une pluie imaginaire faisait des siennes. La partie fut équilibrée. Disons qu'elle fut un peu plus équilibrée d'un côté que de l'autre. L'équilibre est un point de vue, un parti pris. Surtout lorsque Perdigue joue. Notre pinson taquina les ramiers et fut victime d'un œuf de pigeon. La faute à Jeff. Pas celui de la chanson, le nôtre. Zeille eut des doutes sur l'en-avant : où commence-t-il, où s'arrête-t-il ? Une métaphysique de l'en-avant, en quelque sorte, qui le plongeait dans des gouffres. Nous eûmes alors un long conciliabule pour dissiper ses ombres. La partie continuait, nous, nous philosophions. Puis nous reprîmes le fil du jeu après avoir interrompu celui de notre conversation. J'ignore si Zeille avait recouvré la vérité.
Saint-Patrick oblige, c'est le Maître (Trassard) qui était de cuisine. Le Général était là. Il entama les hostilités (Patrick Trassard, pas le Général) par une soupe de la couleur de son pull-over. Un joli vert. La soupe était faite de brocoli, de pommes de terre et de jaunes d'œufs. Je ne crois pas qu'elle contenait du trèfle. Rien de bien irlandais au bout du compte si l'on excepte la couleur. N'importe, la soupe était aussi douce que le temps et annonçait la fin de l'hiver. Pépé était aux anges. Pour Pépé, un repas sans soupe, c'est comme La fureur de vivre sans James Dean, La Prisonnière du désert sans John Wayne. John Wayne, l'incomparable acteur de L'Homme tranquille qui se déroule en Irlande. Avec Maureen O'Hara et ses cheveux de feu. Croucrou, il a quelque chose de John Wayne. Surtout lorsqu’il joue (John Wayne, pas Croucrou) Sean Thonrton, le boxeur de L'Homme tranquille.
L'Irlande, ce fut pour le coddle. Le coddle ou marmite de Dublin est un mets de saucissons, bacon, oignon et patates ragoûté en bouillon de poulet, très populaire dans la capitale de l’Irlande. À défaut de poulet, nous eûmes droit à des saucisses. Ou, plutôt, à défaut de saucisson, de la saucisse. Un coddle gascon en somme. Mais un coddle tout de même et de belle facture. Un régal. Ce n'est pas le Tcho qui dira le contraire. Le Tcho, il a une tête d'écrivain. Ces cheveux en bataille se dressant sur son crâne lui donnent un air profond et spirituel. Il n'y a pas besoin d'écrire des livres quand on a une gueule d'écrivain. Tcho, c'est un écrivain sans livres (l’expression n’est pas de moi mais de Paul Valéry, en quoi Valéry annonçait le Tcho).
Coddle et Hauchat faisaient bon ménage. Sans Jean-Phi parti rameuter de la clientèle en Allemagne. Le Préside discutait avec Zeille qui remit le couvert sur l'en-avant. Non, ses ombres ne s'étaient pas dissipées. Même Amélie ne parvint pas à le rasséréner.
Le lancer d'assiettes fut vigoureux et sédentaire. Sédentaire par ce que Patrick ne bougea pas d'un pouce de sa place, à l'extrémité de la table, entre le Tcho et Pépé. Debout, il projeta les ustensiles à tout un chacun avec plus ou moins de bonheur. Le pari était risqué et plein de panache. Il s'en tira avec les honneurs. Il y eut bien quelques éclats d'assiettes, ça et là.
En dessert, le Maître nous gratifia de son traditionnel riz au lait, parfumé, of course, au whisky irlandais. Un compromis entre deux civilisations. Un dessert mêlé que n'aurait pas désavoué Montaigne.
Une belote de comptoir à neuf s’improvisa. La dernière place se joua entre Bernatchate et Jeff. Jeff perdit. La nuit nous attendait. Douce et accueillante. En quittant le trou, je murmurais ces vers de Yeats :
Through the great song return no more
There’s keen delight in what we have :
The rattle of pebbles on the shore
Under the receding wave.
Même si le grand chant ne doit plus reprendre,
Ce sera pure joie, ce qui nous reste :
Le fracas des galets, sur le rivage,
Dans le reflux de la vague.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire