Pendant
qu'ils s'escrimaient sur le terrain de Victor Louis, j'attendais Lolo afin
qu'il m'amenât au trou. La faute à une cuisse récalcitrante, à l'âge, aux
excès. Toutes choses ignorées par Dudu qui pousse la jeunesse jusqu'à utiliser
un smartphone et à répondre aux mails, désormais, en tapotant de ses petits
doigts sur le clavier étroit de son appareil. Dudu a toujours été un digital.
Comme Yannick. Il n'y a guère que côté boutique que Dudu a du mal avec la
modernité.
Donc ils
étaient à Victor Louis, lorsque Musard se préparait à sa dernière rencontre,
Musard, où des années durant, nous éprouvâmes nos corps jamais repus. Et moi,
j'attendais Lolo, mais Lolo ne vint pas. EDD Suez l'empêchait. Ou plutôt Engie.
Une affaire d'énarque nostalgique de la grande époque des Stones. Sauf que le e
s'est substitué au A, énergie oblige, à défaut d'amour. L'amour certes requiert
de l'énergie, mais aussi infiniment de douceur, c'est son côté Angie.
L’école a
repris, le portail est donc ouvert. Les vestiaires ont leur clé. Le pré est
taillé à bonne taille pour recevoir nos foulées printanières. Les troupes
arrivent en ordre dispersé. Pour les premiers il est de tradition de compenser
leur ponctualité par un décrassage épuisant dans un trois contre trois qui n’en
finit pas. L’attente est de saison. Le jeu à trois est un véritable pari sur
les organismes. Ce n’est pas Hélène qui me contredira. Il y a deux intervalles
et deux espaces dans les ailes. Les courses sont bien rentrantes, les croisés
détournées et nous arrivons à trouver les failles de chaque côté. Le trou pris,
l’accélération est de rigueur même si c’est pour nous chauffer. Il est donc
agréable de voir les troupes se renforcer jusqu’à retourner l’aire de jeu pour satisfaire
nos joutes rugbystiques.
Au trou,
c’est un stagiaire qui régale mais sur le terrain son compère de lettre est en
cannes. Surtout lorsque les passes lui autorisent ses enjambées lyriques
derrière la ligne. Jeff trouva à son désespoir le doux privilège de longues
traversées presque en solitaire pour atteindre la marque et se dire qu’une fois
le ballon aplati le jeu n’est pas fini. Dudu est de même en canne, il retrouva
son parlé de meneur d’hommes. Il sait placer ses troupes, attendre, observer et
feinter. Le Dudu est un joueur qui a un jour, lui aussi été stagiaire, certains
parchemins l’attestent. La course il la respecte, il ne peut concevoir en effet
qu’un mouvement puisse se conclure sans le fameux ballon aplati. Ce n’est pas
Titi qui le contredira. Mais bon, lorsque la ligne est franchie, il faut
conclure ! La pelouse est accueillante et ce soir les coureurs sont de
sortie. Le binome Jean-Phi et son stagiaire est bien bronzé. Surtout le Sabite
qui se livre corps et âmes au partage de ses années d’expériences. Le bronzage
agricole se prépare par des séances d’U.V avant la saison. Le port du tee-shirt
dans la cabine est primordial autrement on ne peut reconnaitre le maître. Jean
Phi, fait du vin, du rugby, des marathons, du sanglier et maintenant du vélo.
Son bronzage l’a trahi ! Le pulpo, le Bernachat, le tarbais il y en avait
des lettrés pour la soirée.
Les lumières
du pré s’effacent pour donner place à la nuit. La douche, l’habillage, le
coiffage et c’est la direction du trou.
Maxime
suppléait Pascal. Il nous avait informés de ses désirs aveyronais par voie
digitale, lui aussi. Nous en fûmes pour notre compte. Le petit Maxime a
ses racines entre Aubrac et Rodez. Il les honora au mieux bien qu'il nous
entreprit, en apéritif, par un ratafia. Le ratafia n'est pas commun au trou.
C'est une liqueur composée d'eau de vie, de sucre et du jus de certains fruits.
Maxime s'en tint à la treille, Gironde oblige. Guigui nous recommanda de n'en
boire qu'avec une extrême parcimonie. Le trou peu à peu se garnissait.
La première
leçon d'aveyronnais s'exprima par une salade de farçou, des beignets de
blettes qui rehaussaient les feuilles disséminées dans nos assurées assiettes
parsemées de petits bouts de noix.
Elle était
belle la tablée. Un tapis de couleurs chatoyantes donnait en relief une
réception culinaire à la densité de l’accent de notre hôte. L’Aveyron donne à
ses hommes des nuances phonétiques qui rappellent que leur pays est fait de
rocs et de plaisirs de vivre. La table est par conséquent une ouverture à une
véritable symphonie en bouche. Notre Jacquot sait que tout dieu a son dit vin
et que son divin tient dans une bouteille de Sabite. Il donna en offrande un
vin en mal de devenir. Un Vinaigre de rigueur pour accompagner toutes les
salades de notre hôte. Pépé est tout ouïe et heureux de découvrir les maximes
de Maxime. Il tâte la balle comme il maîtrise les contes de son pays. Peut être
que Maxime est un Pépé chevelu… Allez donc savoir, mais bon les deux
traversèrent les contrées du langage pour se refaire une tournée de salade. Les
anciens se sentaient un brin isolés sur leur aile. Le bar est plein, le fond de
la tablée bien rempli, le rappel de Peyo avait fait son œuvre. Mais une brèche
empêchait nos anciens de se coller à la masse. L’appel du Jacquot fut entendu.
Les troupes se resserrèrent sans en faire tout un fromage. Le fromage dans
l’Aveyron trouve de même une place bien confortable au milieu du repas. Se
faire traiter de saligauds pour se mettre au régime de l’aligot, il n’en
fallait pas plus pour durcir le manche de notre hôte. Il malaxa comme il se
doit ses têtes à fromages.
Vint
l'aligot et ses saucisses de Toulouse servies avec un Marcillac, vin ruthénois
dont le cépage exclusif est le fer servadou. D'aucuns le comparèrent à un
Beaujolais. Sottise ! L'aligot est de l'Aubrac, comme Queneau était du Havre.
Il est confectionné à partir de pommes de terre et de tome fraîche ou tome
d'aligot, de crème et d'ail. Ce plat s'est répandu dans le dernier quart
du xxe siècle à d’autres régions du Massif
central et, plus largement, en France, notamment à la suite de
l'exode rural des bougnats à Paris, où des ruthénois à
Bordeaux.
Le respect
se fit dans le silence. Nous rappelons que parler la bouche pleine quand le
plat est bon ça ne se fait pas. C’est pour cela qu’il y eut un silence. Loin de
la bronca, loin des oreilles et la queue des corridas culinaires dont la plus
haute distinction se fait au trou par le silence. Le silence n’est pas une
punition ou une frustration publique mais bien une clameur sublimée d’un
plaisir en bouche. Le silence est beau mais le plaisir de chanter en cœur la
réussite reprit le dessus. Normal pour la chanson dont les instances
religieuses m’interdisent de répéter les paroles. A tout bien, tout
honneur !
Lolo avait
envie de s'amuser. Je fus ceint d'une chevelure de verdure mais ne lui en
tint pas rigueur. D'autant que la salade était sans vinaigrette.
Vint le
lancer. Apocalyptique. Nous craignîmes le pire mais le pire ne vint pas. Tout
au plus quelques éclats sur le sol jonché de pétales de salade. Vinrent ensuite
les fromages. Un Cantal à damner tous les saints, un bleu superbe et un
camembert plus ordinaire.
Le laguiole
est en fromage qui se mange au couteau, un laguiole laguiolé en quelques
sortes. Pline parlait déjà en son temps du Laguiole pour vous dire et Pépé, lui
en parle toujours. Il n’est pas homme de bout de table pour rien. Le plateau
est de fraicheur, nous étions bien heureux d’avoir survécu au lancer fratricide
pour pouvoir déguster toutes ses saveurs fromagères. A chaque bouchée nous
ouvrîmes de nouveaux tomes…
En dessert
de la fouace avec sa crème anglaise. La fouace ou fouasse est une pâtisserie ayant la forme d'une
couronne élaborée dans le Rouergue et la Haute Auvergne. À l'origine, il
s'agissait d'une galette de fleur de froment non levée qui était cuite
dans la cendre de bois chaude.
Pour conclure ce repas, nous eûmes droit au don de Julien. Il nous offrait, en effet, des K Way qui rouges, qui bleus avec un numéro dans le dos. Les castors étaient ravis. Dudu prit un exemplaire moulant et Fayou un spécimen plus large. Une affaire de style.
La nuit était légère,
les nuages épars et la lune cachottière. Titi enfourcha sa moto et Claude sa
bicyclette. Moi, je rejoignais ma voiture. A la semaine prochaine.
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