29 avril 2015

Le cuistot de la semaine, Bienvenue chez Toto le bulot

Par le Barde
 

Nous n'étions qu'une douzaine sur le pré. Pas une petite douzaine, non, une douzaine épanouie, trottante et joueuse. Il faisait un peu frisquet pour la saison ; la pelouse était douce et l'humeur joyeuse. D'emblée, El Pulpo fut superbe. Il nous offrit un récital sous l'œil médusé du Tarbais qui n'en pouvait mais notre brestois fêtait dignement son anniversaire, le quarante-sixième. Tout y passa, passe dans un tempo aussi juste qu'une Véronique de Dominguin, cadrage débordement à la Darrouy, et échappées belles mallarméennes. Donner un ton plus pur au jeu de la tribu, tel semblait être son dessein. Oui, le Poulpe avait posé sa griffe sur ce toucher d'avril. Parler de griffes pour un poulpe n'est guère approprié, mais l'on conviendra que tentacules possède moins de charmes, que les rimes qu'il promet sont graveleuses à souhait, toutes choses qui ne correspondent en aucune manière à la grâce dont il fit montre. Maxime affûtait ses cannes, Donatien se baladait déci-delà, avec envie et rage, Dudu se permit un essai de prime jeunesse, sur son aile gauche, Régis rugissait. Un joli toucher de saison même si la saison n'a pas les douceurs que l'on est en droit d'attendre d'elle. Mais peu importe.

Au trou, Toto s'y collait. Nous n'étions pas nombreux. Le Tcho et Pépé étaient là, la table mise, et de longues crevettes roses s'étalaient sur des plats oblongs vaguement argentés. De l'inoxydable sans doute, un métal ordinaire en somme. Il y avait aussi des bulots, cette chose assez étrange que notre Libanais apprécie et qui dégageait un irrésistible parfum maritime. Pas si irrésistible que cela pour certains qui faisaient la fine bouche pour ne pas dire la moue. Bien à tort. Un bordeaux sec et blanc irriguait le tout ainsi qu'une salade. Les longues crevettes disparurent une à une. Le bulot paraissait moins prisé, la faute à leurs effluves coupables. Le castor n'a pas un tempérament très marin. Toto en bon Ordralfabetix qu'il est criait : "Ils sont pas frais mes bulots ?".

Alors vint le temps du boudin et de la pomme de terre. Le Tcho ne pût s'empêcher de verser dans l'allégorie militaire, avec ce petit côté légionnaire qui le caractérise, et la patate nous rapprocha un peu plus du vieux quatre qui n'était pas là. Toto s'était refusé à la dentelle. Rien a dire pourtant qui sur le boudin, coupé en tranches à la finesse relative, qui sur le légume cher à Parmentier. Un plat principal élémentaire et juste. Un refus de la faribole, de l'apprêt. Rien que de très essentiel. Sans fanfreluches ni guipures.
Le Saby vint compenser l'imperfection des Corbières et des vins d'Espagne qui trônaient malencontreusement sur la table. Le Saby s'accommode très bien du boudin et réciproquement. Par contre, il est retors aux bulots. Et tout autant aux crevettes, fussent-elles longues, roses et seyantes.

Bernard Palanquès déroulait le roman de sa vie. Et c'était, ma foi, fort touchant. Un beau roman, avec ses périodes d'ombre et de lumière que la gouaille de Bernard enjolivait avec bonheur. Il a un joli pedigree Bernard. Nous l'écoutions assez religieusement. (Surtout Titi qui n'aime rien tant que tendre l'oreille à la vie d'autrui.). D'autant que c'est sur la question religieuse que nous abordâmes sa biographie.

Le lancer d'assiettes fut audacieux. Toto entreprit de jouer avec les distances. La casse était inévitable. Elle demeura mesurée. Vinrent les fromages, aux effluves également prononcées. Chèvre, camembert et roquefort. Nickel ! Un peu de Saby et la vie était belle. Le clou du dîner fut incontestablement ce parfait fondant au chocolat. Pour ceux qui le désiraient, un peu de vanille de Madagascar pouvait se mêler au fondant. Il suffisait d'utiliser à bon escient la petite bombe dédiée. On craignit le pire de la part du Tarbais ; il demeura sage.

Et le champagne coula à flot. Anniversaire du Poulpe obligé. Il était bienvenu après le fondant. Régis prépara le café, on traina un peu au comptoir, Dudu parlait du Mexique, le Tarbais et Titi échangeaient sur la future boutique. Une guerre des styles que Régis ne manquait pas d'analyser. Le café prenait des poses irlandaises, vanille et Whisky mêlés.

La nuit nous attendait sans s'impatienter le moins du monde. La porte du trou se ferma avec un léger couinement de regret. Une semaine, c'est long.

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