07 novembre 2015

Le cuistot de bouffe, l'amiral à la retraite, la morue aux charbons...

Par Le Barde et Réglisse


Là bas, à Bussaguet, Franck fait la nique au temps. Point de bougies et autres fariboles, non, il torée le temps. Tu ne m'auras pas lui dit-il et de lui faire une Véronique de rêve. La besogne faite, il adresse un sourire à la vie. Happy birthday Francky, le natif du 4 novembre, le bon docteur, le castor qui possède, comme nul autre, le don d'ubiquité. Une présence de chaque instant, un nomadisme du cœur qui sont autant de ses vertus. " La vertu d'un homme ne doit pas se mesurer par ses efforts mais par son ordinaire" écrivait Pascal.

Sur le pré, nous étions une quinzaine. Serge a conjuré le sort ; il les a eus. Enfin. Bien aidé, il est vrai, par un Perdigue tout feu tout flamme. Se gaussant de tout évitement, il perfora plus que de raison une muraille adverse, "Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas" dixit encore ce bon vieux Blaise. Il est vrai que la muraille en question était quelque peu ébréchée. Perdigue manie l'art du trou, de la pénétrante comme personne. Surtout lorsqu'il est servi par Serge. Sans Seb, Serge il a son Perdigue. D'ailleurs, il y a plus qu'un soupçon de ressemblance entre les deux compères. Une affaire de connivence en somme.

Donc, le pré où un Hamilton renversant retourna son pouce et quitta, de guerre lasse, ses partenaires après avoir été secouru par la main experte de Pascal. Pascal, il sait la nécessité de sa présence, mieux, il l'anticipe. Avec un tel prénom, rien que de très ordinaire. La grâce efficace en somme.
La partie fut vive, joyeuse, alerte. Le castor est en jambes en ce doux automne. L'hiver sera fécond , l'hiver est une poule aux œufs d'or. Peut-être serait-il plus opportun d'évoquer les grues. Leurs vols enchantent nos matins et nos nuits. Il faut aimer les grues.
Il y eut une cascade d'essais. De beaux gestes, des courses fières ; comme un parfum de Blacks. Oui, le pré est notre royaume et le trou notre palais.

L'Amiral ceint d'un tablier irish attendait ses hommes d'équipage. Un albatros. L'équipage était fourni. Au bar, Amélie remettait un peu de vigueur à des étagères mal embouchées. Allongé sur le sol, il opérait. En sorte qu'il fallait franchir son corps pour atteindre la dive tireuse.

La bière coula comme un torrent. Du Minelli dans le texte. Avec Perdigue en Sinatra, faute de Léo qui nous manque. Sur la nappe, croûtons, rouille et fromage râpé annonçait une soupe de poisson. L'amiral, comme de bien entendu, n'agit que dans le maritime. La soupe était parfaite. De longs filaments pendouillaient sur nos lippes. Un petit blanc de derrière les sarments, sémillant à souhait, faisait une nique momentanée au Sabite. Poisson oblige. L'Amiral en rajoutait avec un cubi de rose de Provence. Jean-Phi resta digne.


« Ils étaient deux amants,
Qui s’aimaient tendrement
Qui voulaient voyager
Mais ne savaient comment



Allons à Messine
Pêcher la sardine
Allons à Lorient
Pêcher le hareng. …
Quand l’Amiral cuisine, le trou navigue. Autour de la table, des mariniers prêts à avaler la marée. L’homme a beaucoup voyagé. Ca se sent dans la descente. Déjà dans l’escalier, les flagrances en remontées nous donnent envie de chanter. Les narines deviennent marines. La chanson est de rigueur quand l’homme revient à son port.

Pour sûr, l’Amiral est du signe du poisson et non scorpion comme notre francky. Les plaisirs des hommes sont multiples et les saveurs qui les comblent infinies. Le voyage a mené l’homme aux quatre vents et la cuisine à sa soupe de poisson. Piou Piou navigue lui aussi. L’homme est un explorateur des plaisirs de la vie. La poésie il la caresse comme une brise légère sur la grande voile. Parfois elle gonfle, parfois ça pousse, parfois ça chavire comme toute ballade aventureuse et amoureuse entre l’homme et la mer. Le plaisir des mots, de la gonfle et du poète restent par essence identiques.

Dans la soupe de poisson, l’Amiral a pensé à la rouille. La rouille pour les wikipédiens est composée de foie de lotte, de pomme de terre, de tomate ainsi que d'un peu d'ail et d'huile d'olive et le tout passé au pilon et au mortier, agrémenté d'un peu de fumet du plat de poisson. Quelquefois appelée mayonnaise provençale, la rouille est servie avec la bouillabaisse ou la soupe de poissons à la sétoise et accompagne les plats de poisson, les crustacés et les poulpes. C’est un rappel accessible à ce dictionnaire webien et populaire mais pour le poète qui se respecte la rouille n’est pas le devenir d’un fer mouillé ou le supplément aromatique qui dérouille la soupe de poissons mais bien une matière unique pour lancer la rime.

Piou Piou, les rimes en « ouille », il les sublime. Ces alexandrins comptent les verres. La technique est unique elle naît du trou. Le voilà debout, l’orateur, le Barde en visée, le bras de fer qui rouille est lancé. Point de gant qui se jette au trou. Le barde accorde les premiers vers à l’initiative et amateur de duel de mots accorde l’envoi à notre Cyrano. Tout y passa, le scribe est dépassé tant le phrasé est élancé. Le Ouille touche la grenouille, le fenouil, la crapouille, la chatouille, la nouille (cuite à l’eau), la nouille (qui fait l’idiote), la nouille entourée de ses paires qui riment tout autant.

Il est beau le poète qui nous prouve qu’il n’excelle pas uniquement dans la chansonnette. L’ambiance est marine. Les hommes présents bien heureux de partager la soupaille et la ripaille. Le marin ne se libère des nœuds. Les assiettes creuses font place aux plates. L’accueil du plat est de mise. Du jaune, du blanc et du noir sont les couleurs du soir. Point d’omelette cette fois-ci mais bien un mélange subtil de pommes de terre, de fromage, de crème, de "ba. Le noir vient des olives. Il n’y a pas de bacalao sans son lieu noir.
 
…Le trou de mon cul,
Soufflera dedans.
Sacré de Dieu,
Ça puera bougrement


Allons à Messine
Pêcher la sardine
Allons à Lorient
Pêcher le hareng. »

Le plaisir est grand et la chanson se termine. C’est une constante quand l’homme apprécie le plat, le silence se fait. Le délice est ainsi.

Le lancer d’assiette est digne du sage qui a traversé l’Océan. Il le répète bien assez « La terre n’est pas plate », il nous le confirme « il faut connaitre toutes les forces en présence ». L’Amiral les adore, les nourrit, les taquines (carton plein pour Titi) . Même Pépé est converti et en a gardé son béret. Le lancer décoiffe mais se rattrape. Les assiettes dans la Marine comme dans l’aviation se maitrisent pour préserver l’équilibre de tout bâtiment. Celui du trou est par conséquent maintenu, la Santa Maria naviguera que plus sûr dans les eaux bousculées du trou emmuré. « La marine est là chanterait » Tino Rossi. Le plaisir des hommes aussi ! Tient, ça rime...

Le dessert était recouvert d'un papier d'aluminium. A peine l'Amiral l'eût il ôté que l'on pressentit un tiramisu. Erreur, c'était du riz au lait. Le riz au lait est fréquent chez les castors. Mais chacun d'y mettre sa touche. Celle de Roland était du meilleur effet. Walid aurait apprécié. Titi, lui, se régala. C'est un enfant notre Pinson, les desserts d'antan trouvent toujours grâce à son palais. Il me confia un jour qu'il aimait cette phrase d'Agnès Varda : "Je suis resté petite mais j'ai grandi." Titi, c'est un tendre. Et ce n'est pas Pioupiou qui me démentira. Un Pioupiou, délesté de l'antienne de sa chanson monotone. Et c'est mieux. La Pibale, elle, est fidèle à son éducation chrétienne. Et d'entonner l'Ave verum de Mozart sous l'œil circonspect de la Jacouille. Mais pour le plus grand bonheur de Jeff : "Le riz au lait et Mozart j'adore" dit-il. Le Vieux quatre opinait du chef. Pour une raison obscure, il ajouta que la morue et le riz au lait, c'est un peu comme Castor et Pollux. Sans doute par goût pour Rameau. Allez savoir. Don appréciait ces incursions musicales. Et d'y aller de son Verlaine : "De la musique avant toutes choses."

Le trou se vida lentement. La nuit recouvrit les castors de son manteau. Il était un peu plus de minuit. Francky, sans doute, s'était endormi. Face aux étoiles.

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