02 novembre 2015

Le cuistot de la semaine, Miguel casse les oeufs...et les assiettes

Par Réglisse et Le Barde


Nous n'étions que huit sur le pré et le vieux quatre n'était pas des nôtres. Comme le vieux quatre veut s'employer au blog, il lui sera difficile de parler du pré. Mais le vieux quatre pratique le mentir-vrai avec un art consommé ; c'est un disciple d'Aragon.

Les Archiballs sont un roman inachevé, une histoire qui se prolonge, une épopée sans fin. Non, ils ne sont pas entrés dans le long hiver que d'aucuns leur promettent. Et puis, l'hiver est une belle saison, ses lumières sont si pures. "Quelle flamme pourrait égaler le rayon de soleil d'un jour d'hiver ?” écrivait si justement Thoreau.

Les métaphores et autres inspirations hivernales, à tort, sont souvent tristes et tiennent trop à des humeurs passagères. Il y a même un soupçon de cliché à faire de la saison de "l'art lucide"la plus ténébreuse des saisons. D'ailleurs, le pré est joyeux, été comme hiver, printemps comme automne. Et le pré est la langue des castors, leur idiome.
Sur le pré, en ce dernier mardi d'octobre, l'équilibre était parfait entre les plus que cinquantenaire et les autres. Le toucher fut vif, virevoltant, épuisant. Tous savaient que Miguel les attendait au trou et que leurs efforts trouveraient grâce dans ses offrandes culinaires. Tous, sauf Serge. Il attendait avec impatience, entre une croisée et un cadrage-débordement, les promesses du chef d'un soir. Pioupiou après avoir hésité à rester sur le pré se résolut à taquiner la balle et nous gratifia d'un essai d'anthologie sur son aile. Il convint que le rugby ne saurait se limiter aux vertus d'un exclusif rentre-dedans. Il conclut les débats par une opposition médicale entre la déchirure et la tendinite sous l'œil circonspect de Dudu. Hamilton, lui, était aux anges. Comme Régis et Jeff. Oui, une belle soirée d'automne.

Au trou, vêtu d'un pantalon bleu-ouvrier, Miguel rayonnait. L'assemblée était clairsemée en ces temps de vacances. Amélie nous attendait, ainsi que la Jacouille, Pépé et Yannick. Et notre bon vieux quatre. (Mais pas de Tcho, la faute aux palombes). Chacun de se souvenir du premier repas de Miguel et de craindre le pire. Miguel leur opposa un sérieux démenti. 

Ainsi de cette entrée qui mêlait à des grilles d'endives, chorizo, boudin, champignons de Paris. Et un pâté dont Hamilton dit qu'il était de tête. Quelques piments agrémentaient le tout qui manquait un tantinet de fumet. El Poulpo déposait délicatement sur la feuille d'endives de petits brins de pâté, de fines lamelles de boudin et de champignons, et enfournait son pétale avec infiniment de délicatesse. La classe. Amélie s'inquiétait de la suite. Des parfums d'omelettes faisaient frissonner ses narines. Et l'omelette vint.

L’omelette est une base solide pour nourrir les hommes après des périples nocturnes. Dans les Landes, la tradition veut que pour attendre le jour, il n’est pas bon d’être une tranche de jambon et d’être réincarné en œuf. Miguel dans sa cuisine a cette nostalgie de fête. Il est joueur et expérimentateur. L’origine est lointaine. Certains anciens du trou pourraient même se prêter inventeur. Ils cassaient les poules avant de casser des œufs. Bref, l’omelette est un mythe. Point de chef cuistot qui l’ignore. A défaut de poules, une bonne cuisine casse les œufs. Le tout est dans le mouvement énergique est vigoureux pour amalgamer le blanc et le jaune. Certains y glissent un soupçon de lait. Du lait de poule ? ca serait vache…

Aujourd’hui les œufs ce n’est plus ce que c’était. Ils sont rentrés dans l’hiver, eux aussi. Le moderne est ainsi, il enlève le goût croustillant de la coquille et protège de toutes germonelloses substantielles. Les œufs se retrouvent du coup en bouteille. Il y en a même en bombe, à ne pas confondre avec de la crème chantilly. La vieille recette de la chantilly nécessitait à l’époque de l’huile de coude des ménagères. En partant de la crème pour arriver à une chantilly sans en faire tout en fromage, c’est tout un modeste savoir de grand-mères.

Miguel aime l’automne, il le prouve par sa présence. Les anciens limités à deux, se distinguent par le port du béret et entourent le cuistot par tradition qui n’a pas de saison. L’homme utilise des champignons. La suspicion qui elle aussi traverse les saisons a observé que le cuistot se servit en dernier et laissa ses invités découvrir les secrets de son plat. Y aurait-il un doute sur l’origine de l’eumycète ? Pépé et Jacquot, par leur port du béret se rapprochent du champignon. Les gascons connaissent les coins qui se découvrent dans la pleine lune et se fond par leur couvre chef dans les poussées inespérées. Les discussions abandonnèrent les œufs pour se centrer sur les bleus, les amanites comestibles et non comestibles, les girolles bref une véritable diversité offerte par leur nature dans une saison qui nous rapproche de l’hiver. Comme quoi, il faut de tout pour faire une bonne omelette. La fève était un bout de chorizo. C'est Serge qui l'a eu!

Il n’y a pas d’omelette sans casser les œufs et il n’y a pas de trou sans casser d’assiette. Le drame est là !

Nous rappelons que Miguel est joueur. Le lancer est sacré. Hamilton détient tout un savoir qu’il n’hésite pas à partager. Hamilton est un anthropologue photographe des plaisirs du vivant sans en faire tout un caillou. Pour ce gardien, l’art du lancer d’assiette est un moment sacré du tour de bouffe. Il nous éloigne et nous rapproche de l’objet vénéré. L’Ovalie est un dieu pour certains et un ballon pour les autres. Toute religion a ses rites. La croyance nous distingue de l’animal et nous rapproche par essence du civilisé. Abraham hésita à sacrifier son fils pour transmettre aux hommes l’art du sacré. Comme quoi pour vénérer, il n’est pas nécessaire de détruire. Et bien pour les assiettes, c’est pareil. Il peut arriver que l’homme soit maladroit et le lancer ambitieux. Il n’est plus nécessaire de verser du sang de ses paires pour se dire que le rite est respecté. La technique de l’homme aveugle est appréciée sur un lancer. Les hommes sont ainsi, ils aiment jouer. Piou Piou est le fils de Jacquot. Si l’homme au béret n’était pas civilisé, il aurait transmis son amour par un énorme sacrifice. Preuve d’un savoir limité, marmonna Freud dans sa barbe. Et Jacquot se retrouverait bien seul dans toutes ses connaissances. Piou Piou ne le sait que trop bien, se leva pour éviter toute régression inutile. La technique du rebond sur le goulot de la bouteille et éclat par millier sont à proscrire. La parole est partagée. Miguel débanda ses caches yeux. Le sacrifice est trop élevé pour le plaisir recherché. Freud pencha pour la théorie de l’économie psychique. Tout se paie et l’assiette comme le plaisir a un coût. Les bérets en ont vu des assiettes voler mais bon la dérive du soir nécessite un passage à l’acte. Les mots ne peuvent suffire, surtout quand ils sont répétés. Le départ pour le bout de la tablée est prématuré. L’absence est faite pour être entendue. L’assemblée se posa et pria le temps du fromage.

Trois tartes de recouvrir la nappe. Trois tartes piquetées de pignons de pin et dont il était bien difficile de deviner les dessous. En l'occurrence, du chocolat de bon aloi. Le Sabite se répandait dans nos gosiers satisfaits. Le café finissait de passer et Pioupiou méditait sur Ferdinand de Saussure. Miguel, une citrouille à portée de main, regardait satisfait ses complices. De temps à autre, il caressait sa cucurbitacée et nous servit la fable de La Fontaine, Le gland et la citrouille, avec des talents de conteurs qu'Esope n'aurait pas désavoués. Insistant davantage sur le gland que sur la citrouille comme de bien entendu.

Une belote de comptoir se dressa. Le vieux quatre faisait feu de tout bois. En pure perte. Sa main n'était pas assez garnie pour accomplir ses annonces. Regis papotait avec Hamilton. Yannick était sage.
Les castors prirent le chemin du retour. La nuit était tendre. Pas une goutte de pluie. Serge sifflotait l'automne de Vivaldi. Et Régis de méditer cette phrase de Georges Sand : "L'automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l'hiver."

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