Ce mardi 3 mai est jour de Boléro ; l'œuvre de Maurice Ravel est dans le domaine public. On est en droit de lui préférer La pavane pour une infante défunte, fût-elle pour piano ou pour orchestre. Dans un cas comme dans l'autre, on demeure étymologiquement dans la danse. Ce qui fait tout naturellement lien avec la gonfle. Le rugby est une chorégraphie dont le pré, à défaut de sol, est la clé.
De surcroît, l'origine vraisemblable du boléro vient du surnom "Volero » ou danseur volant que l'on donnait à Sebastián Cerezo. Un rugbyman est un danseur volant ; l'affaire est entendue. Et ce n'est pas Pioupiou qui me contredira. Ni Le Poulpe. D'ailleurs, Le Poulpe, il a quelque chose en lui de Sebastián Cerezo.
Le toucher ne fut que danse ; la bechigue voletait de mains en mains. Même si les mains n'étaient pas toujours au diapason. Quelques passes échouèrent comme des malpropres, quelques ballons churent. "L'imperfection est la cime" dit Don qui connaît son Char (René) sur le bout des doigts. Ben courrouçait Jeff, Serge se faufilait, Jean-Phi serpentait bien sûr. Simon, notre invité du jour, rédigeait de belles courses et Walid tentait vaille que vaille des cadrages débordements, dis sur son aile droite. Etc.
La partie avait une certaine gueule. Ou, si l'on préfère une gueule certaine. Comme un air de Ravel.
Au trou, Bernard avait disposé des gougères dans des assiettes immaculées. Des chouquettes au fromage si l'on veut. Un prélude, un délicieux prélude. C'est le côté Chopin de Bernard. Ce qui annonce se suffit à lui-même et devient un genre propre tout en ouvrant à mille et un possibles. Notre chairman qui était là apprécia. Et quand Coco est là, le trou est un peu plus que le trou, l'écho d'une odyssée sans fin. D'autant que JB était là, ajoutant un peu plus à l'éternité de cette soirée.
Bernard se lança moderato dans son entrée. Point de grosses caisses, il ne nous raconte pas de salade. Le cuistot se la joue fin pour flirter avec l’allez gros. Une entrée en douceur. Chacun sa portion, point de service à la louche. L’attention est tendre et l’esthète fait saliver. L’orgasme féminin se fond dans le fin visuel. La touche fait son effet et talonne une petite part féminine toujours vénérée au totem des castors. Il en faut peu pour relier le regard à la bouche. Les œufs en cocotte à la tomate et tout son jus. Le Barde trouva dans l’œuf le berceau des dames. L’origine du monde interroge la place de l’œuf par rapport à sa poule. Lacan chaussa ses De Sausurres et souri du fameux « dit l’aime » de la cocotte dans son œuf. « L’œuvre de la vie jongle avec de nombreux contenants vides ». Se lamentait le Tcho qui sauçait sans compter. L’œuf en cocotte c’est comme une cocotte sans œuf ou un trou sans son coco. Coco du coup poussa une chansonnette. Les réponses n’ont pas de mots mais trouve toujours un air d’opéra. Les questions peuvent bien se poser mais les réponses en elles-mêmes n’existent pas. Voilà ce que contient l’œuf que du plaisir de dire. Le doute rassure pour le penseur pyrénéen. La certitude angoisse pensa l’autre versant. Le plaisir de débattre allait bon train. La portion est limitée pour d’autant plus de plaisir. Le plaisir s’exclut de la jouissance par les limites qu’il impose. Les lignes de notre pré sont bien là pour nous le rappeler. Dudu prit du coup le temps de s’asseoir. Il trempait sa baguette pour profiter du met.
Bernard est pour sa part aux baguettes, celles qui ne trempent pas mais celles qui commandent le tempo. L’entrée et sa resserve est un subterfuge pour faire tourner le chrono. Les castors sont agréablement conquis par ce leurre. « Leurre de la suite » se fit attendre et nécessita les cris des couteaux. Certains pensèrent que le repas tenait dans l’entrée. Et sifflèrent du coup le fromage.
Les repères sont bousculés et nous voilà au Maroc. Préparation des troupes oblige !
Le Sabite sortit une nouvelle cuvée de Sabylaouane. Le muezzin appela la prière et les castors se mirent en danse et dans l’allegro. Les assiettes blanches d’un aller se retrouvent au retour remplies aux délices de l’orient. L’orient est au Sud pour les castors sans boussoles. La Tajine de poulet est aux pruneaux et aux olives. La semoule au couleur de safran. Les parfums sont présents. Dudu se contente de compter ses olives. Il est ainsi. La conversion se fait pour tous les autres. Les salammalecs se transforment en passemoilesel, les plaisirs se retrouvent dans chaque bouchée. Une partie de Casablanca dans ses nuances marines et orientales, une partie de Rabat dans la puissance et la beauté d’une cité impériale, Meknés dans les parfums épicés de sa médina et Fès qui nous ramène à l’essentiel. Le plat nous fait voyager et prépare nos castors à la traversée. Le tajine est fait pour les castors. C’est un plat qui de tradition se mange avec les doigts. Le doigt comme le toucher est sacré ! Le couvercle est enlevé pour le plaisir des yeux et chacun pioche directement dans le plat avec trois doigts : l’index et le majeur retiennent un morceau d’une galette de pain mise à disposition pour chacun des convives, le pouce ramène l’aliment sur le pain avant de porter le tout à la bouche. Les doigts ne doivent pas toucher le reste du plat. Mission impossible pour le castor qui ne peut tourner son doigt devant, derrière et dedans. La technique mérite un entrainement pour le tournoi à venir. Le tajine se mange du coup à la fourchette et évite ainsi toutes des cons venues. Le trou est vraiment sacré !
Le lancer d'assiettes fut plus que convenable. La seule fausse note vint de Jean-Phi qui, voulant imiter Lolo, se tourna, tendit ses mains derrière son dos et ne parvint pas à attraper l'obole. L'assiette arasa quelques verres. Pas de blessés. Un camembert fondu au four nous fut offert avec ce qu'il faut de croûtons et d'ail. Une tradition bernardesque. Tous de tremper le croûton aillé dans le fromage liquéfié. Et de boire un petit coup de Saby. Cary Grant se plaisait à cet exercice. Tremper, c'est vivre affirma-t-il. Le Tcho et Pépé se repaissaient.
Un gâteau avec sa crème anglaise acheva la besogne. Amélie aime beaucoup la crème anglaise. Amélie est un tendre, il aime ajouter une douceur à une douceur. La conversation filait son train. L'humeur était joyeuse. Le Poulpe égrenait ses bons mots comme un pain sa mie. Il y avait loin des turpitudes de ce bas-monde et du bruit du temps. Le trou est un antre.
Comme d'ordinaire, une belote de comptoir se dressa. Le Barde jeta le premier son cube. Comme d'ordinaire, Walid l'emporta. Bernarchatte est à la fête. Serge et Regis se disputèrent la dernière place. Serge fut défait mais n'en tant pas rigueur au bardibule.
Une nuit de printemps, douce, hospitalière accueillait chacun d'entre nous sitôt la porte verte franchie. Le printemps est une manière d'être. Se prenant pour Fred Astaire, Jeff tenta quelques pas de danse. Le bitume eut raison de sa grâce. Putain de Boléro dit-il. Et de danser une gigue pour faire la nique à Ravel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire