Par Le Barde et Bardibulle
Tout avait bien commencé. Nous étions peu, mais peu c’est assez pour s’amuser. Les douze du départ ne furent plus que dix. La faute à de petits bobos. Le ballon allait sa course aléatoire. Souvent, il taquinait l’herbe. La faute à l’humidité.
Alors, Jeff s’arrêta de jouer et regarda la pluie. Pour quelle raison avait-il déserté la partie ? Il se tenait droit comme un i face aux poteaux et regardait la pluie. Joss, inquiet, se rapprocha de lui.
« Que se passe-t-il mon Jeff ? »
Et Jeff de lui murmurer :
« Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie ! »
-« Mais comment peux-tu t’ennuyer mon Jeff ? Le rugby n’apaise pas tes langueurs ? »
-« Non, mon Joss. Le doc, il est pas là et sans le doc, je suis triste. »
Rien n’y fit ; Jeff resta seul face aux poteaux à regarder la pluie. Le doc n’était pas là parce qu’il connaissait son premier office au trou. Chagrin, Jeff s’attardait sur le crachin. On continua, vaille que vaille de trottiner. Las, le cœur n’y était plus.
Le doc n’est pas familier de la bouffe. Il n’en menait pas large. Il lui fallait répondre aux us de notre communauté. Fort heureusement, on est jamais seul. Madame avait pris les choses en mains et dispensé ses conseils auprès de son tendre. Le doc prépara et mitonna les plats en suivant à la lettre les recommandations de madame.
Après la salade pour nous mettre vert… Il troque de nouvelles couleurs pour revenir aux siennes. Le doc entendait partager ses origines lyonnaises. Il est de même région que Poulet et le Barde. Nous étions donc sur la terre des canuts. Les canuts étaient des ouvriers tisserands de la soie. Ils se trouvaient principalement dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon au xixe siècle. Ils sont surtout connus pour leurs révoltes et vont influencer les grands mouvements de pensée sociale des saints-diminuendo à Karl Marx, en passant par Fourier ou Proudhon. Un petit clin d’œil au Bardatruc qui nous manque. Il ne ramène pas sa saucisse, lui contrairement au doc. La saucisse de Lyon est un hymne à la bonne bouffe. Tout est bon dans le cochon, les gones n’ont qu’à bien se tenir. Elle est rose et chaude la bête. Au fait le communard révolutionne les papilles comme les côtes de Rhône pleure Saby. La ville relie les cœurs. La cloche Saône, et la route du Rhône alimentent nos destins. Un sacré rendez-vous pour illuminer notre trou. Doc répare nos estomacs blessés en bonne bouffe et en belles histoires. Le tout sans piqure ! Il susurre la suture… Jacquouille prie son cochon avec son tire-bouchon. La vrille satisfait toutes les papilles. Le cochon tient de nombreux secrets.
Le trou faisait bouchon. Les yeux se ferment sur la pomme de terre, une petite prière pour Marine, et nous plongeâmes de nouveau dans la rue Mercière, noyau de l’hédonisme et de l’épicurien en quête de chandelles. Lyon mon amour. « Je l’aime, un peu, Bocuse, passionnément… » comptait notre Prez un brin rêveur.
Vint le lancer d’assiettes. Pas de débris jonchant le carreau du trou. Le doc a la main précise. C’est rassurant pour un disciple d’Hippocrate. Une main ferme et précise, sûre d’elle-même.
Le fromage n’était pas tout à fait du fromage. Nous eûmes droit à de la cervelle de canut, ou claqueret, ou encore tomme daubée. Une spécialité fromagère typique de la cuisine lyonnaise, faite de
fromage blanc, de ciboulette hachée, d’échalote, de sel, de poivre, d’huile d'olive et de vinaigre. Un doux régal.
Et pour clore sur une touche originelle, le doc nous proposa une tarte à la praline dont le rouge doit au sucre caramélisé sa couleur. Il n’en resta pas une miette. En sorte que les poules d’Amélie en furent pour leurs frais.
Une pizza lyonnaise de tradition, le doc est prévoyant et gère notre glycémie pour au moins cinquante nouvelles années. Chaque croc nous faisait tomber dans les pommes d’amour. Sur le front de Guitou des larmes de sucres, l’homme est gourmand. Le charme est ainsi quand le combat est pour la bonne (glu)cose…
Comme de bien entendu, le doc l’emporta à la belote. Et Jeff perdit. Pourtant Jeff susurra à l’oreille du doc deux vers d’un sonnet de Louise Labbé : « Ô longs désirs, ô espérances vaines,/Tristes soupirs et larmes coutumières ». Il sait sa poésie lyonnaise Jeff. Rien n’y fit. Le Prez s’en sortit plutôt bien et Sergio itou.
Il pleuvotait comme nous sortions du trou.
Le doc était heureux. Sa besogne avait été accomplie et bien accomplie. Hamilton enfourcha son cycle rouge. Poulet songeait à sa Bresse natale. Et le Barde à son Beaujolais. Notre identité est mêlée. Et bien mêlée.
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