La pignole du Barde
Comme je déjeunais chez Bigoudi avec le Libanais et le Toulousain, je les entrepris sur Perdigue, et plus précisément sur son regard. Perdigue a le regard d’un aigle leur dis-je en guise d’amuse-bouche. Le Toulousain demeura un long moment dans l’expectative. Il hésita d’interminables secondes entre l’aigle et le faucon. S’il ne remettait pas en cause le côté rapace de Perdigue, le faucon semblait avoir sa préférence. L’aigle, c’est entendu, n’est pas un faucon ; par contre, c’est un vrai enculé. Je retrouvais dans le choix initial de mon Bonnet son immense humanité. Mais il faut savoir plier face aux évidences. Le Libanais ne versa pas dans le détail et évoqua immédiatement le singe. J’en restais coi. Puis, après force réflexion, j’admettais, pour partie, et pour partie seulement, le bien fondé de sa proposition non sans lui avoir demandé de préciser la race du primate en question. Cercopithèque, magot, rhésus, sapajou ? Et c’est bien évidement sur le sapajou qu’il porta son dévolu. Pris de remords, écarlate, suant à grosses gouttes une culpabilité légitime, il m’annonça penaud que l’aigle sautait aux yeux. Cependant, le Libanais est malin et fit montre, en l’occurrence, et à ma stupéfaction, d’une solide culture ornithologique. « A quel aigle penses-tu me dit-il, l’aigle Jean-le-blanc, le Circaète, la Pygargue ? » Je lui répliquais vertement : « le Balbuzard ». La soudaineté de ma réponse le laissa pantois. Mon honneur était sauf. Puis, je développais ma pensée.
Perdigon est donc un balbuzard qui a jeté son dévolu sur les castors. Le balbuzard, pour ceux qui l’ignorent, est gros amateur de poisson (le castor n’est pas un poisson). Sa technique de chasse est sublime mais bancale. Sitôt qu’il a repéré sa proie, il plonge toutes ailes repliées dans l’eau et, il arrive, parfois qu’il n’en revienne pas. Voilà pourquoi Perdigon est un balbuzard ; il n’en est jamais revenu des castors. (Balbuzard, par parenthèses, est un mot à l’étymologie anglaise : il vient de baldbuzzard : « busard chauve ». Toutes choses qui confirment bel et bien, sous un autre angle, mes affirmations.)
Je connais des voix qui contesteront pareilles sornettes. J’imagine Lolo me disant : « T’es con ou quoi, Perdigon, c’est un albatros ! ». « Mon cher Lolo, lui aurai-je répondu, à la différence de l’albatros, les ailes de géant du balbuzard ne l’empêchent pas de marcher. Perdigon n’en est-il pas la plus parfaite des illustrations ? Vois comme il file à l’anglaise, de sa course légère et puissante, lorsqu’il vaque sur le pré. » Tout ceci est pure fiction, j’en conviens. Mais si la réalité était de ce monde, je suis certain que tout se serait passé de la sorte. A un détail près. J’aurai dû dire : « Vois comme il file à la galloise ». La raison ? Le balbuzard est l’emblème du club des Ospreys qui fournit, cette saison, force internationaux à l’équipe frappée du poireau. Lolo ne m’aurait pas démenti, j’en suis sûr.
Des Ospreys à Anatole France, il n’y a qu’un pas et je le franchis bien volontiers. « La pensée s’élance du vol de l’aigle » écrivait l’inoubliable auteur de Thaïs. Qui, oui, qui contestera que la pensée s’élance du vol du Perdigue ? Je suis certain que s’il avait connu Thierry, l’Anatole lui aurait consacré un roman. Mais c’est à la philosophie qu’iront mes derniers mots. Je préfère, quant à moi, une approche plus socratique de la pensée et comme ce vieux maître qui refusait tout maître, j’aime à penser en marchant. Même si le nec plus ultra, c’est de penser ballon en main, la course droite et le regard avisé. En quoi, le rugby quand il est bien joué est l’acte philosophique par excellence.
1 commentaire:
Ah qu'il est bon le vin chez Bigoudi!!!!
A qui le tour maintenant?
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