25 avril 2019

50 ans de bouffes : Zeille au fourneau sans aide ni z

Par Le Barde


Non Crouseilles ne s’écrit pas Crouzeilles. Cette manie de mettre un z à la place d’un s provoque chez notre Croucrou un courroux légitime. D’où vient ce nom Crouseilles ? A-t-il un lien avec groseille ? Je l’ignore. N’importe, pour la rime, c’est un nom béni des dieux : oseille, merveille, gueille, veille, orteil... En somme, Zeille, c’est un poème.

Zeille n’était donc pas sur le pré puisqu’il était de bouffe. Bouffe, ça rime avec étouffe, plouf, touffe, gnouf, pouf... En fait si vous voulez commencé un sonnet sur Zeille, il suffit d’embrasser des rimes en eille et en ouf :
Ce soir je suis de trou, et mes tendres orteils
Ne se poseront pas sur le pré tout en touffes
Me voilà consigné, je suis commis de bouffe
Il me revient ce soir de rendre la pareille.

Sur le pré sans Zeille, sur le pré orphelin, nous fîmes contre mauvaise fortune bon cœur. Le cœur y était ; la fortune un peu moins. Il pleuvait ; Musard pleurait Croucrou ; le ciel a ses langueurs. Nous étions une petite douzaine, ou, si l’on préfère, une grosse dizaine. Et Régis tomba. Son coude y laissa quelques plumes. Il n’est pas bardibule pour rien. Le pré était deux fois orphelin.

Nous continuâmes, sans dame fortune et sans cœur. La pluie redoublait. Croucrou nous attendait.

La vieille garde était là. Le Tcho avait déserté son pays basque. Et notre Coco, bon pied, bon œil, musardait déjà au comptoir. Le chef ceint de son béret, un tantinet avant les dix heures réglementaires, Pépé nous somma de rejoindre la table.



Une salade fraîche, sise dans de longs plats, une salade mêlée où l’on retrouvait de petites moules, de menues crevettes, des lames d’avocats, des pincées de crabe, d’adorables et replètes tomates jaunes et d’autres rouges, en tranches, nous combla. Il n’en resta pas une miette. Croucrou, par sa salade composée, affirmait sa philosophie du mélange. Et nous ne pouvons que le suivre dans cet art qui consiste à assembler harmonieusement ce que d’aucuns affirment séparés. Toute salade est pensée. 

Vint ensuite un rôti de bœuf, nanti d’une purée délicate, mitonnée à l’huile d’olive. Enfin, ce n’était pas tout à fait de la purée. Croucrou avait brassé les pommes de terre dans jamais les laissait fondre en une pâte lisse et onctueuse. Quelle saveur. La grâce est simple, elle répugne aux chichis. Pour une raison qui nous échappa, le Tcho eut cette pensée définitive : « Les bruits du corps sont innocents «Puis de nous conter ses aventures militaires. Notre homme fut un chauffeur hors-pair. Jean-Phi buvait ses paroles. Et Pépé ajoutait ses commentaires. Les commentaires de Pépé sont de l’or en mots.

Le lancer d’assiettes alterna le meilleur et le pire. Mais le pire fut rare. D’ailleurs Coco ne broncha pas. Trois fromages dans l’assiette, comme un clin d’œil aux trois petits cochons. Croucrou est de l’enfance. Sergio savourait le saint-Nectaire, Fayou le bleu et le Tarbais tartinait. Entre la poire et le fromage, notre Jacouille s’en prit aux cheveux disparates ponctuant le crâne du Tcho. Il les étirait à l’envi. Comme si ce geste lui manquait, qu’il lui fallait recouvrer ce contact capillaire qui lui manquait tant. Le Tcho se laissait faire sous l’œil circonspect de son aîné.

Fidèle à l’éclair, Croucrou alterna café et chocolat. Il aime cet aphorisme de René Char : « L’éclair me dure ». Cette constance dans l’éclair a quelque chose d’admirable. Le bardibule, lui, il préfère le mille-feuilles, hélas il ne pût même pas évoquer ses préférences. Le pré est ingrat. Fayou croqua son éclair la larme à l’œil.

Pas de bardibule, pas de belote. Comme le dit l’autre : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » L’autre, c’est le poète préféré du vieux Quatre qui nous avait fait faux bond. La chose est rare. Le trou ne résonnait pas comme d’ordinaire. Nous n’entendîmes pas son timbre mélodieux. Pas plus que celui de Pioupiou. Pourtant il était là. Il y a des soirs sans. L’absence du bardibule peut-être ? 
Il pleuvait. Hamilton laissa son cycle rouge au trou. Pépé, le Tcho et Coco covoituraient. Et c’est Pépé qui était au volant. Sans doute poursuivaient-t-ils leur souvenirs militaires. Pensant à son bardibule, le barde verlainisait : « Il pleut sur mon cœur comme il pleut sur la ville. »

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