31 octobre 2013

Le cuistot de la semaine fit dans le confit

Par Le Barde


L'hiver pointe le bout de son nez. L'air était frisquet, hier, le pré humide, parsemé, ça et là, d'une boue encore timide. Peut-être était-ce la dernière sur le petit terrain d'Eysines puisque nous sommes promis à Victor Louis. Normal pour un club d'architectes me dira-t-on. C'est un peu comme si nous passions du rugby des clochers à celui des villes.
Un peu d’histoire, as usual. Louis-Nicolas Louis dit Victor Louis naît le 10 mai 1731 à Paris. Il est le fils de Louis Louis, maître maçon. Il entre à l'École royale d'Architecture en 1746. Il est l'élève de Louis-Adam Loriot, architecte de talent, membre de l'Académie royale d'architecture. En 1755, après neuf années d'études, va à Rome et séjourne au Palais Mancini de 1756 à 1759. D'abord spécialisé dans les commandes religieuses, il réalise ensuite de nombreuses résidences privées. Le Maréchal de Richelieu, petit-neveu du Cardinal le fait venir à Bordeaux – où il est gouverneur de Guyenne – pour construire le théâtre de la ville. Il répond par la suite à de nombreuses commandes de châteaux dans le Bordelais. Parmi ses réalisations girondines, citons l’hôtel Boyer-Fonfrède, 1 cours du Chapeau-Rouge, l’hôtel Lamolère, rue Esprit-des-Lois, les Hôtels Saige, Journu et Legrix, ancien hôtel de préfecture de Bordeaux (jusqu'en 1993), le château Raba à Talence (Gironde), etc.
Il y avait du beau monde pour cette dernière sur le petit terrain d’Eysines. Car Loulou était là, et Loulou, c'est du beau monde à lui tout seul. Nous n'étions qu'une poignée, mais une poignée alerte et expérimentée. Même Gwen était de la partie, vêtu d'une parure rose, sans chaussettes et avec de vagues souliers marrons. Il y avait aussi Hamilton, Gary Grant, Léo, el Poulpo, Jérôme et surtout Walid. Walid, il a des cannes de feu. La terre promise n'est plus qu'une formalité pour lui. N'empêche, c'est du côté des vieux que nous eûmes les plus beaux essais, signés par Loulou et Hamilton. On ergota peu, on joua beaucoup, et c'est le corps repu que nous regagnâmes les petits vestiaires du petit terrain d'Eysines. Walid sifflotait, le regard tendu vers les étoiles.

Le trou était plus garni que le terrain. Le charisme de Lolo of course. Nous étions une trentaine. Pour l'anecdote, il y avait trois dynasties présidentielles puisque Joël, Arnaud et Loulou étaient des nôtres. Il y avait aussi le grand Tom, et Titi dont les adducteurs regimbent. Comme ceux de Bernachatte. Le castor a l’adducteur fragile cette année.

Lolo avait mis sa progéniture à contribution. Thibaut l'accompagnait dans sa tache. Une cuisine de famille en somme. L'ombre douce de Caro flottait sur le trou. La famille fit dans l'hiver. Pas de dentelles lorsque le temps se met au froid. Et rien de tel qu'un bon pâté pour subvenir à nos graisses récalcitrantes. Avec des cornichons de belle facture. Rien de tel non plus que des tranches de saucisson, fines, accompagnées aussi de ces petits concombres saisis avant maturité dans du vinaigre que l’on traite de cornichons.
Fidèle à sa tradition, Lolo fit dans le confit avec d'incontournable petits pois/carottes qui apportèrent une touche légère et maraîchère aux consistances du volatile ruisselant de graisses accortes. Lolo, à vrai dire, serait plutôt tendance confit ; Thibaut taquinerait davantage du côté des petits pois carottes. Mais l'assemblage était royal parce que familial. Et là je ne puis pas encore ne pas songer à celle qui illumine la scène bordelaise de sa présence radieuse. O Caro ! O éternelle Phèdre ! Tu es Maillan et Sarah Bernhardt réunies ! O Calliope, fille de Zeus et de Mnémosyne.
Lolo en cuisinier a tout de Zhao Jun. (C’est  l'un des plus vénérés des dieux chinois. Ils protègent le logis et la famille. Traditionnellement, une photo ou une statue de Zhao Jun est placée dans la cuisine, d'où il peut observer le comportement de la famille et en rendre compte au dirigeant des paradis, l'empereur Jade.)

Mais je veux revenir au canard. Etait-ce  un canard amazonette (Amazonetta brasiliensis), un canard, un canard carolin (Aix sponsa), un canard chipeau (Anas strepera), un canard siffleur (Anas penelope), un canard de Smith (Anas smithii), un canard à sourcils (Anas superciliosa) ? J’opterai pour le canard bridé (Anas rhynchotis) ou le Canard mandarin (Aix galericulata),  Zhao Jun oblige. J’opte pour le canard mandarin puisque Lolo, en ces veilles de Goncourt, en revient toujours à son préféré, Les Mandarins de la Simone. Il y a peu, il m’en récitait des passages entiers de mémoire. Il est foutu d’en faire une adaptation pour Caro.

Le lancer d’assiettes fut superbe. Quelle délicatesse, quel toucher ! On était en Olympie. C’est pas parce que Lolo a tout de Zhao Jun qu’il n’a pas droit aux dieux grecs ! Pas un ustensile ne tomba. Les assiettes voletaient dans le trou comme autant de lucioles. (Hommage de Lolo à Pasolini pour dire que, non, les lucioles n’ont pas disparu ?). Un miracle. Non content de flirter avec l'Olympe et Zhao Jun, Lolo y allait de son Christ. Jean-Phi eut une extase et s'effondra dans un soupir qui en disait plus long que de vaines prières. Et Loulou ne cessait de murmurer, pareil à Sainte-Thérèse, "Mon Gros tu me transperces."  Pépé se recueillit avec une profonde intensité. La Pibale entonna des chants religieux.
Le fromage mit un terme à nos ardeurs mystiques. Il n’y a rien de tel qu’un Pyrénées avec sa confiture de cerises pour dompter les élans spirituels. Encore que les bons moines savent faire côtoyer la foi et le fromage. Mais bon, foin de la religion désormais. Et passons au dessert. En l’occurrence de l’ananas avec de délicieuses cigarettes russes (de cigarette, en raison de sa forme, et russe, car les Russes roulaient leurs cigarettes en diagonale). Un zest de fraîcheur bienvenu. Comme cette Manzana servie à dessein.

Dehors, une nuit pure et belle attendait les castors.

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