Le flag a du bon ; il a même un soupçon d'âme. Cette manière de se tenir entre toucher et plaquer lui procure ce petit je ne sais quoi qui rehausse l'ordinaire. De là à parler d'âme, il y a un pas que l'on peut ne pas franchir. En fait, c'est Perdigue le fautif. A peine était-il arrivé à Musard que, regardant les étoiles, il chuchota "J'ai du flag à l'âme." Épris de son chuchotement, il crut bon de le partager dans le vestiaire et, passant du murmure à l'éructation, il hurla son bon mot sous le regard éploré de Jeff. Il est comme ça Perdigue. Son flag à l'âme fit un flop sans qu'il en fut meurtri.
Donc, nous jouions contre Parempuyre. Les riverains de la Jalle étaient nombreux, très nombreux. Nous, un peu moins et, à vrai dire, tout juste quinze. Grâce au douanier qui, arrivé sur le tard, sans tambour ni trompette, oublieux des effets nécessaires à la pratique de notre jeu, trouva quand même chaussure à son pied pour officier.
Nous nous répartîmes sur deux moitiés de terrain. A dix contre dix. Avec arbitre de part et d'autre. Nous nous mélangeâmes comme pour un clin d'œil à Montaigne. Nous nous en donnâmes à cœur joie. Arracher des lanières ceinturant un adversaire a un indubitable parfum d'enfance. L'exercice est difficile. Les essais tombaient à gravelotte, bien qu'il n'eût rien d'une bataille. Seb et Serge se régalaient. Pas Jean-Phi qui tira sa révérence.
Un spectateur inattendu nous encourageait. Yann était là en chair et en os. Tout de noir vêtu. Il a un côté Brando Yann, un côté Sur les quais. Il refoulait sa douleur de n'être pas du pré. Mais il était partis nous. Un moindre mal. Toto y allait de toutes ses cannes, vif, tranchant. La course de Stephane est plus déliée mais aussi efficace. Itou pour notre flagellent chef : Peyo. Les vieux faisaient contre fortune bon cœur. En l'occurrence, Dudu et moi-m'aime. Un bon moment.
L'homme du trou, c'est Pioupiou. Une chemise Ralph Lauren épousait son torse. Il avait bien fait les choses. Comme toujours. En préalable, une biérotte. Enfin plusieurs. Comme nous papotions au comptoir, dans l'attente de nos invités, nous, Le Poulpe, Nardibule et moi-m'aime, nous chantâmes Flying to the moon. Il y avait loin de nos imperfections chorales à la grâce de Sinatra. N'importe. Et Le Poulpe, par l'une de ses intuitions dont il a le secret, modifia le refrain de ce standard qui devint Flaging to the moon.
Faute de Pépé et de Tcho, le Poulpe et moi-même prirent leur place en bout de table. Et ce fut assez émouvant que d'emprunter leur présence. Nous nous sentions grandis, augmentés. La tablée était fournie. Les gens de la Jalle étaient venus en nombre. De bons compagnons. Nous nous mîmes à table. Sans Jean-Phi mais avec du Hauchat. En sorte qu'il était là sans y être. Toujours cette question de l'absence habitée, de la réification si l'on préfère.
Tout le monde est à table, les castors aux extrémités et les Jalliens au centre. Piou Piou est à la manœuvre. Il lance les hostilités. La bière dans les pichets se transforma pour la mise à table en eau. Le miracle est fait pour désaltérer et faireconcurrence au Sabite. Le passage est naturel. Les hommes sont assis et attendent la suite. Les discussions vont bon train, en même temps la source au trou n’est jamais tarie. Serge ne quitte son Tarbais, il se partage la salade piémontaise comme les feintes sur le pré. C’est l’école des Pyrénées. Les deux ont changé de camps. Le jeu pour eux est facile et ils le jouent en couple. L’adversité est pour l’instant dans la salade piémontaise. Elle est là face à eux. Piou Piou l’a façonnée pour répondre à la restauration des joueurs. Les muscles sans estomac c’est comme un Tarbais sans son stado. Un stado sans son zeste me susurre Thomas. Il court vite mais l’esprit ne lâche pas ces jambes. La salade envoie du boire. Elle est copieuse et bien fraîche. Les produits sont de la ferme et bien fermes. Serge redoubla le Tarbais sur la resserve. Les deux sur ce jeu ne font pas de feintes. Le jeu est simple. Les invités sont en masse. Le partage et la bonne ambiance est de mise. Les tournées de Sabite ne sont pas innocentes dans cette symbiose. Les petits rouleaux de printemps sont en chair et le cochon en affaire.
Le miracle accompli la bière en eau, le bar en table. Piou Piou professa pour muer l’entrée en plat principal. Les gesticulations et les incantations sont de mises pour débarrasser et apporter la suite. L’homme connait ses prières, les Jalliens se fondent dans la cène. Le cuistot du soir ne fait pas dans la dentelle ou dans le flag à l’âme. Même si pour la bête, un flag sans mêlée c’est comme un stado « sans son zeste » me susurra une nouvelle fois mon saint Thomas, taquin à ses heures. Le riz conquit le Piémont, la tête de pont est solide pour réceptionner la blanquette de veau. Les hommes et les castors sont aux anges. La verdure reste au pré pour le plus grand bonheur de nos papilles. La pelouse est faite pour le plaisir des appendices moteurs inférieurs. L’oralité est autre, elle a besoin de matière pour alimenter l’estomac et nos discussions. Point de salade au trou. Les invités apprécient et demandent à embrasser la cuisinière. L’accolade sera de mise pour récompenser le cuistot. Piou Piou hésita à leur faire la danse du ventre. Le bédouin est à la limite de se laisser convaincre, mais l’homme est à la tâche. Point de coin et de banane qui ne tiennent, le voile sera sur la chanson. Le cuistot est à l’honneur même si il joue pilier. C’est une subtilité langagière et phonétique qui joue pèle mêle la rencontre. Les estomacs sont repus. Les muscles réconfortés, le rite de la réception maison bien assurée. Il nous manque le biniou de l’Amiral parti sur d’autres mers. Les chants sacrés de Saint Jean Phi. Il chante comme il vinifie le raisin. Il manie chaque artifice des plaisirs du vivant. Celui qui parle seul est fou, mais celui qui chante tout seul est tout simplement heureux. Perdigue sourcilla et se mit à chanter son « flag à l’âme ». Le barbu n’est pas fou, poète, jongleur et rêveur sûrement. Il chante dans toutes les langues. Sa chanson est au trou l’amorce d’une prière au lactée. Les invités découvrent le trou.
Le Tarbais de son côté vieillit. Et comme ces montagnes, nous ne lui donnons pas d’âge. Il fut désigné volontaire pour lancer les soucoupes blanches. Piou Piou ayant déjà accompli sa deuxième procession. Le geste est libéré, décomplexé, l’homme a du doigté. Il jouerait du piano, il se rapprocherait à s’y méprendre de JB. Des virtuoses dans l’art de la passe. Il se taquine dans l’ouverture et dans le demi. La casse est insignifiante face à la maitrise de l’expérience. Serge souffla son cierge. Point de beau geste sans sacré ! Les sourires sont de mises, l’extase fait son œuvre. Jacquot compte les bris et étala son brie. Le choix est multiple. Le café est lancé, les cannelés sont éparpillés. Certains en oublie le printemps et se fond une réserve. Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Et c’est le printemps. Le printemps nous rapproche de l’été et nous amène à penser à notre guitou, itou…
Parempuyre s’ éclipse en s’honorant de son dernier verre. Peyo accepte l’échange. Le trou retrouva peu à peu son silence. Dehors le Tarbais s’incline devant le temps et donne de nouveaux rendez-vous. L’appel est fait, le champagne est annoncé, l’offre pour sa conquête annuelle réunie les castors vers d’autres bulles communes.
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